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ABSTINENCE. MOTIFS DE LA LOI

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doute, encore quelque temps, mais pour ménager les Juifs. Voir l’article suivant, col. 275.

IV. C’est motif de mortification et de pénitence. — L’Église fut déterminée à formuler ses prescriptions sur l’abstinence par des motifs tirés, non de la loi de Moïse, mais de celle de Jésus-Christ, son divin fondateur.

Le Maître avait dit : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, porte sa croix et me suive. » Matth., xvi, 2i ; Luc, IX, 23. Interprétant ce conseil ou plutôt cet ordre du Dieu incarné, l’Église ne cesse de prêcher à ses enfants la mortification et la pénitence. Elle rappelle souvent l’obligation impérieuse pour tout chrétien de dompter les passions et d’asservir le corps à l’esprit.

L’intempérance est la mère de la luxure ; le démon de l’impureté ne peut être chassé que par la prière et le jeûne ; nul ne sera chaste, s’il ne refuse parfois à ses sens les choses même permises. Le moyen de triompher des penchants déréglés, c’est de les affaiblir dans leur racine, grâce à l’abstinence. Cette vérité d’ordre moral n’avait pas échappé, même au milieu des ténèbres amoncelées par trente ou quarante siècles de paganisme, à l’esprit perspicace et méditatif des sages de l’antiquité. L’on connaît cet apophthegme de l’un d’eux, Épictète : Souffre et t’abstiens.

Nécessaire dans les maladies du corps, l’abstinence n’est pas moins indispensable dans celles de l’âme. Le but du christianisme est de développer la vie spirituelle en nous ; mais cela ne peut se réaliser sans un certain abattement de la vie physique. La chair, en effet, lutte sans relâche contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. Celle-ci, sans être annihilée ou réduite à une impuissance totale, doit cependant être contenue dans de justes limites, assez étroites d’ailleurs. Sans cela, comme un esclave révolté, elle envahirait bientôt le domaine de l’esprit ; elle y deviendrait maîtresse absolue et y régnerait en souveraine.

Au contraire, par les privations, l’homme s’immatérialise en quelque sorte. Moins il fait de concessions à son corps, pourvu qu’il ne lui refuse pas le nécessaire, plus il affranchit son âme, la fortifie et la met à même d’accomplir de grandes choses. Dans les prières de la liturgie consacrées aux jours de la pénitence, l’Église nous renouvelle cet enseignement : Par le jeûne et l’abstinence, nous dit-elle, les vices sont comprimés, l’esprit s’élève, et le chrétien, pratiquant les vertus solides, acquiert des droits à la récompense. Qui corporali jejunio vitia comprimas, mentes élevas, virtules largiris et prœmia (Préface du Carême).

Sans les sages prescriptions de l’Église, les fidèles auraient été exposés à ne plus voir dans la pénitence le remède le plus efficace pour rendre à l’âme la santé perdue ou augmenter les forces épuisées.

Dans cet ordre d’idées, l’attention de l’Église, entre autres privations susceptibles d’être commandées, devait se porter sur l’abstinence des viandes. Elle a interdit à certaines époques les aliments gras, parce que, étant plus substantiels, ils procurent au corps une exubérance de vie, et que, pouvant être apprêtés d’un plus grand nombre de manières, ils flattent toujours davantage la sensualité.

V. Objection. — L’abstinence des viandes, presque naturelle aux habitants des pays chauds, constitue une privation pour ceux des climats tempérés, et devient d’autant plus pénible qu’on monte davantage dans les pays plus froids.

Un régime dans lequel la viande serait ménagée avec trop de parcimonie, serait d’ailleurs nuisible non seulement à l’activité physique de l’homme, mais encore au libre et plein exercice de son intelligence, comme à l’énergie de sa volonté. Les physiologistes ont cru le remarquer sur une vaste échelle en comparant les nations chez lesquelles l’alimentation est fort différente.

« Voyez l’Irlande, et voyez l’Inde, disait dans un ouvrage resté célèbre, l’un des plus illustres naturalistes de notre époque. L’Angleterre régnerait-elle sur un peuple en détresse, si la pomme de terre, presque seule, n’aidait celui-ci à prolonger sa lamentable agonie ? Et, par delà les mers, cent quarante millions d’Hindous obéiraientils à quelques milliers d’Anglais, s’ils se nourrissaient comme eux ? » Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Lettres sur les substances alimentaires, Paris, 1SÔ0.

La viande est donc l’un des aliments les plus nécessaires à l’homme. Il en a besoin dans les divers états où il peut se trouver, qu’il soit ouvrier ou savant, livré au travail des mains ou à celui de l’esprit.

L’Église semble donc avoir eu tort de choisir l’abstinence de la chair, pour en faire une pratique obligatoire de pénitence ; car cette privation occasionne, en général, une déperdition sensible de forces et d’énergie.

VI. Réponse. — Contenue dans les justes limites où l’Église la prescrit, l’abstinence ne présente aucun inconvénient ; elle est de nature à mater le corps sans ébranler la santé. Nous dirons même davantage, et en cela se montre plus manifestement encore la sagesse et la prudence de l’Église, qui sait concilier admirablement les intérêts les plus opposés en apparence, ceux du corps et de l’âme, ceux de la terre et du ciel. L’abstinence, telle qu’elle est recommandée et ordonnée aux peuples chrétiens, non seulement n’est pas contraire à la santé, mais lui est plutôt favorable.

L’homme, en effet, n’est pas uniquement Carnivore. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner son système dentaire et la disposition ou l’étendue de ses organes digestifs. La même étude démontre qu’il n’est pas uniquement herbivore, mais omnivore. La nourriture exigée par sa constitution est donc une nourriture mixte, c’està-dire empruntée à la fois, quoique en des proportions diverses, au règne animal et au règne végétal. Il possède une puissance d’élasticité suffisante pour s’accommoder aux circonstances les plus variées, se faire à tous les régimes et soutenir son existence par le seul usage d’aliments animaux ou végétaux. On ne doit pas en être étonné, puisque, comme le prouve la chimie organique, les aliments végétaux se réduisent, en dernière analyse, aussi bien que les aliments d’origine animale, quoique en proportion diverse, aux mêmes principes immédiats azotés ou non azotés.

Il n’en est pas moins vrai que le régime le plus convenable à l’homme et le mieux adapté à sa constitution, est celui dans lequel l’usage de la viande est tempéré par celui des végétaux. Il y aurait des inconvénients à se nourrir d’aliments d’origine exclusivement animale. Une telle pratique serait opposée aux règles de l’hygiène.

Le bon sens populaire, du reste, ne s’y est pas trompé. Instinctivement il a compris la vérité sur ce point, et depuis longtemps l’usage a prévalu, presque chez toutes les nations, de mêler ensemble les deux espèces d’aliments. Il est avantageux d’interrompre, de temps en temps, un régime composé en trop grande partie d’aliments d’origine animale, et de le remplacer par une nourriture moins substantielle et moins échauffante. Le goût en sera mortifié, mais la santé n’en subira aucun dommage : cette privation est utile, en même temps, et à l’âme et au corps.

Donc le maigre imposé par l’Église, le vendredi et les autres jours d’abstinence (peu nombreux d’ailleurs), est conforme aux dispositions de la nature humaine. Il ne saurait être présenté par les incrédules, comme nuisible à la santé, du moins en général. Pour les cas particuliers, l’Église elle-même les prévoit, et dispense de la loi, quand elle parait trop rigide. A ce sujet, en effet, la discipline ecclésiastique s’est toujours adaptée aux diverses circonstances de lieux et de temps. Elle est plus indulgente pour les peuples du Nord que pour ceux du Midi. De nos jours, où des santés moins robustes semblent