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AVERROÏSME


occupa un rang très élevé dans le monde administratif aussi bien que dans le monde savant de son pays. Il consacrait à commenter Àristote ou à produire des œuvres originales, les loisirs que lui laissaient les fonctions de juge, soit à Séville, soit à Cordoue, et ceux que plus tard lui fit la disgrâce passagère du calife Almançour auprès duquel il avait été desservi par la jalousie de ses rivaux ou par l’hétérodoxie de sa doctrine.

2° Averroès est avant tout, ou plutôt exclusivement, le disciple d’Aristote. Il ne le traduit pas parce que des traductions existent déjà et que, du reste, il ne sait ni le grec, ni le syriaque ; mais il commente avec une science consommée les livres du Stagyrite, d’où son nom de « commentateur » . Aristote est pour lui un « être divin » et « le principe de toute philosophie. On ne peut dillérer que dans l’interprétation de ses paroles et les conséquences à en tirer » ; mais « il a achevé les sciences, parce qu’aucun de ceux qui l’ont suivi… n’a pu rien ajouter à ses écrits, ni y trouver une erreur de quelque importance » . Renan, Averroès et l’averroïsme, Paris, 3e (’dit., 1867, p. 55. C’est un brevet de science complète et infaillible que le disciple décerne à son maître. Mais il avoue lui-même qu’on peut différer dans les conséquences à en tirer, et c’est sur ce point que se singularise la doctrine d’Averroès. Il pousse les principes qu’il trouve ou qu’il croit trouver dans Aristote à des conclusions très lointaines et extrêmes, dont la plupart serviront de thèses caractéristiques de l’averroïsme latin.

3° Les erreurs propres à Averroès sont signalées par Cilles de Rome, De erroribus philosophorum Aristotelis, Averrois, Avicennx, Algazelis, Alkindi, Rabbi Moysis, dans Mandonnet, Siger de Brabant et l’averroïsme latin au XlIP siècle, Fribourg (Suisse), 1899, p. 9-11. Le commentateur affirme qu’aucune loi n’est vraie, bien qu’elle puisse être utile, quod nulla lex est vera, licet possit esse utilis, il s’attaque par là à la religion chrétienne, à la religion juive et même à la religion musulmane, qui admettaient la possibilité et la réalité de la création. Fréquemment cependant Averroès professe son respect pour le Coran, mais quand il trouve Mahomet en contradiction avec Aristote, c’est celui-là qui doit céder à celui-ci. Averroès prétend encore que l’ange ne peut rien mouvoir, sinon immédiatement, un corps céleste, quod angélus nichil potest movere, nisi céleste corpus immédiate ; que l’ange est une action pure, quod angélus est actio pura ; que dans aucune production toute la raison du produit ne peut être la puissance du producteur, quod in nulla factione lola ratio facti est potentia facienlis, attaque directe de la création où la chose créée a toute sa raison d’être dans la puissance créatrice ; que d’aucun a^ent ne peuvent sortir simultanément et immédiatement des effets divers, quod a nullo agente possint simul progredi immédiate diversa ; que Dieu n’exerce aucune providence sur les êtres particuliers, quod Deus non habet providentiam aliquorum parlicularium, c’est la ruine de la providence divine ; qu’il n’y a pas de trinité en Dieu, quod m IJeo non est trinitas ; que Dieu ne connaît pas les singuliers, quod Deus non cognosrit singularia ; que certaines choses arrivent par la nécessité des lois de la matière indépendamment de toute providence divine, <uod aligna provr.niunt a necessilale materie. absque ordine divine providentie, c’est Dieu exilé’du monde qu’il n’a pas créé et qu’il ne peut gouverner ; que l’àrne intellective n’est pas multipliée avec les corps humains, mais est unique, quod anima intellectiva non multiplicatur multiplications corporum, srd est una numéro ; que l’homme appartient a son espèce par l’Ame sensitive, quod homo pmtitur m spede per animant scnsitlvam ; que l’union de l’âme intellective et du corps ne donne pas une nouvelle unité a l’homme, quoil non sit plus unum ex anima intellectiva ri corpore. Ces trois dernières propositions appartiennent a là fameuse

théorie de l’intellect séparé de l’homme, et unique pour la race humaine tout entière. M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, Louvain, 1900, p. 232, ramène aux points suivants les principales théories d’Averroès : 1° l’intelligence des sphères et l’émanation des intelligences du premier moteur suivant un processus de déchéances successives ; 2° la potentialité et l’éternité de la matière ; 3° le monopsychisme humain et la négation de l’immortalité personnelle ; 4° l’interprétation allégorique du Coran.

4° Il était utile de rapporter ces théories qui sont plus que l’averroïsme latin en germe, qui en sont la substance et que nous allons retrouver professées par des maîtres de l’université de Paris et stigmatisées par l’autorité ecclésiastique. — Il est important aussi de remarquer que ces thèses sont propres à Averroès et n’appartiennent pas, du moins explicitement, à Aristote. On pouvait donc être péripatéticien sans les professer. C’était le cas de l’école albertino-thomiste qui attaquait l’averroïsme, c’est-à-dire les excès doctrinaux d’Averroès, tout en témoignant le plus grand culte et une prudente adhésion à l’égard de la philosophie du Lycée. Mais tous n’en étaient pas convaincus ; dans l’école augustinienne, en particulier, on attribuait à Aristote toutes les erreurs de tous ses disciples ou commentateurs et l’on y attaquait le péripatétisme en bloc. Ainsi saint Thomas et Albert le Grand étaient enveloppés dans la réprobation totale de la philosophie péripatéticienne et ils reçurent, de ce chef, quelques éclaboussures dans certaines condamnations de la fin du XIIIe siècle. La lutte contre l’averroïsme tut donc double : d’une part, elle procédait de tous les savants orthodoxes que le souci de sauver la foi armait contre les erreurs nouvelles ; dans cette lutte les augustiniens s’alliaient aux albertino-thomistes ou péripaléticiens modernes contre les aristotéliciens exagérés ; d’autre part, la guerre venait des théologiens que le souci de conserver les cadres anciens, les méthodes traditionnelles, mettait en garde contre toute innovation ; alors les augustiniens se trouvaient seuls dans un camp en face des péripatéticiens modérés, comme saint Thomas, soutenus par les péripatéticiens excessils, comme Siger de Brabant.

IL Les causes de l’averroïsme. — Nous avons dit que l’averroïsme représente l’aristotélisme hétérodoxe du XIIIe siècle. Originairement et en droit, il était la philosophie intégrale d’Aristote comprise et enseignée par des philosophes latins à la lumière des commentaires d’Averroès. Bientôt et en fait, on détacha de cet ensemble des thèses opposées à la doctrine théologique et c’est leur suite qui composa finalement l’averroïsme latin. — Les causes de l’averroïsme doivent êtrecherchées dans l’état de la science chrétienne au xiiie siècle, dans celui de la science aristotélicienne, dans les conditions de l’humaine nature. Dans les sociétés en formation ou en révolution, c’est-à-dire dans celles dont les cadres ne sont pas encore entièrement construits ou ont été brisés, l’influence des vieilles civilisations aux cadres tout faits esf extrême. Il y a tendance à accepter tout d’une pièce ces civilisations et à imposer leur organisation, leurs méthodes de vivre, de penser et d’administrer aux sociétés en formation. Ainsi la révolution française, après aoir aboli le passé, voudra Jeter la nation dans le moule des institutions romaines. Tel était, au commencement du xiir siècle, l’état de l’esprit humain en face do la pensée aristotélicienne. Une poussée se faisait, continue et puissante, vers le développement des sciences rationnelles ; les doctrines peu nombreuses et trop courtes du passé’semblaient insuffisantes. Les Arabes offraient un organisme philosophique complet avec île nombreuses données scientifiques parfaitement synthétisées. Certains esprits, voulant apportera leur temps une belle offioresrence scientifique, adoptèrent toute la synthèse aristotélicienne, telle qu’elle était présentée par