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APOSTASIE


saint docteur écrit : « Comme la foi est le premier fondement des choses que nous devons espérer, et que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu, quand un homme perd la foi, il n’y a plus rien en lui qui puisse être utile au salut éternel. »

Concluons : le péché d’apostasie sera toujours grave. — Mais dans cette gravité, faut-il distinguer des degrés ? Assurément. Le point de départ de tous les actes d’apostasie est le même, puisque tous sont la séparation de la vraie foi ; mais le point d’arrivée diffère selon les cas. Le système nouveau adopté par l’apostat peut être plus ou moins mauvais, parce qu’il sera plus ou moins radicalement opposé à la doctrine chrétienne. En ce sens les rationalistes modérés qui gardent une certaine estime et un respect extérieur pour la religion nous paraissent moins coupables que les déistes qui insultent ouvertement à la révélation ; et le péché de ceux-ci est dépassé encore par celui des athées qui nient même l’existence de Dieu. Nous n’insistons pas sur ces comparaisons. Pour rester dans le cadre de cet article, nous n’avons qu'à constater qu’il y a des degrés dans l’erreur coupable à laquelle aboutit l’apostat et par conséquent dans le péché d’apostasie.

III. Histoire et peines canoniques.

I. dans les premiers siècles. — On rencontre des apostats à toutes les époques de l’histoire de l'Église. Il y en avait déjà au temps de l’apôtre saint Jean qui les appelle des « antéchrists » précurseurs de celui qui doit venir. « Ils sont sortis de nos rangs, ajoute-t-il, mais ils n'étaient pas des nôtres ; » c’est-à-dire qu’ils n'étaient pas de vrais et fidèles disciples de Jésus-Christ. I Joa., il, 18-19. Mais c’est au temps des persécutions surtout que le péché d’apostasie devint fréquent. Bon nombre de chrétiens faiblirent en face des tourments. On leur donna dans les communautés chrétiennes le nom de lapsi, laps ou tombés. Et on compta parmi ces lapsi non seulement ceux qui avaient formellement renié leur foi, mais ceux aussi qui grâce à quelque habileté humaine, sans être réellement idolâtres, se faisaient considérer comme tels p ;  ; r les dépositaires du pouvoir civil. On appelait sacrificati ceux qui avaient offert des sacrifices aux idoles ; thurificati, ceux qui avaient simplement brûlé de l’encens sur l’autel. Les uns et les autres étaient formellement apostats. Moins coupables qu’eux, étaient les libellalici, qui obtenaient par faveur, à prix d’argent ou par quelque autre moyen, un certificat d’idolâtrie, sorte de billet de confession païenne grâce auquel ils n'étaient pas inquiétés, et les acla facicntes, qui faisaient ou laissaient porter leurs noms sur les registres officiels parmi ceux des citoyens qui obéissaient aux édits impériaux. Ceux-ci n'étaient coupables en fait que de simulation d’idolâtrie. Ces chrétiens faibles furent nombreux au temps de la persécution de Dèce (219-251) ; et le clergé romain écrit à leur sujet à saint Cyprien : « C’est être criminel que de se faire passer pour apostat, alors même qu’on n’a pas commis le crime d’apostasie. » Epis t., xxxi, inler Cyprianicas, P. L., t. iv, col. 310. On vit encore une autre catégorie de lapsi sous Dioclétien, après l'édit de Nicomédie, 303, les traditores, ceux qui, pour obéir à l’empereur, livraient les vases sacrés et les saintes Écritures. Paul Allard, Histoire des persécutions pendant la première moitié du m° siècle, Paris, 1886, p ISO9-320 ; La persécution de Dioclétien, Paris, t. i, p 171-214.

l’our tous ces coupables l'Église se montra sévère, mais elle proportionna la rigueur des peines au degré de la faute. Saini Cyprien juge de façon bien différente « celui qui, à la première injonction, vola au-devant d’un sacrifice impie, et celui qui n’accomplit un acte si funeste que par contrainte et après une longue i lance » . Et il ajoute : « Puis donc que l’on doit distinceux-là mêmes qui onl sacrifie - ', il y aurait une té et une injustice révoltantes à confondre les libcl latiques avec ces derniers. » Epist., lii, ad Antonianum, n. 14-15, P. L., t. iii, col. 781. En conséquence, la durée de la pénitence pour l’apostasie varia selon la gravité du péché commis et nous devons dire aussi selon les époques et selon les pays. Il y eut des pénitences de trois ans, de six ans, de douze ans ; il y en eut d’autres perpétuelles.

Au iiie siècle, cette question de la durée des pénitences imposées aux lapsi devint l’occasion de vives controverses et même de schismes dans l'Église. Voici comment. Tertullien nous apprend que, de son temps déjà, les confesseurs emprisonnés pour la foi intervenaient auprès des évêques en faveur de leurs frères tombés, afin d’obtenir pour eux des réductions de peine. Ad martyres, c. I, P. L., t. I, col. 621 ; De pudicilia, c. XXII, P. L., t. ii, col. 1027. Au temps de saint Cyprien, dans l'église de Carthage, les martyrs remettaient aux lapsi repentants des billets, libellos pacis, portant ces mots : « Qu’un tel soit admis avec les siens. » S. Cyprien, Epist., x, P. L., t. iv, col. 255. C’est ainsi que naquirent les indulgences. Mais il arriva que ces billets d’indulgence furent multipliés à l’excès et distribués souvent sans autorité et plus souvent encore sans discernement. C'était la fin de la discipline pénitentiaire. Saint Cyprien protesta en qualité d'évêque de Carthage et de primat d’Afrique, et menaça d’interdit les prêtres qui admettraient trop facilement sans la pénitence régulière les apostats à la sainte communion. Epist., ix, xiii, P. L., t. iv, col. 253, 260. Cette attitude déplut aux lapsi, on le comprend assez, mais aussi à des confesseurs de la foi échappés au martyre, et un bon nombre de prêtres et de fidèles de l'église de Carthage se séparèrent de leur évoque. Ce schisme eut pour chefs le laïque Félicissimus et le prêtre Novat. Pour terminer ces débats irritants et résoudre la question pendante, saint Cyprien convoqua à Carthage, en 251, un concile des évêques d’Afrique. Ce concile condamna Félicissimus et Novat et prit les décisions suivantes : 1° les évêques et les prêtres qui auraient sacrifié, ou qui seraient porteurs de certificats de sacrifice sont exclus de toute fonction ecclésiaslique ; 2° les laïques qui se seraient fait délivrer un billet de sacrifice, sont admis à la communion, s’ils ont fait pénitence aussitôt après leur péché ; 3° quant aux laïques qui auraient sacrifié, chacun d’eux sera examiné séparément et la durée de sa pénitence sera proportionnée à sa culpabilité. Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, Paris, 1696, t. iv, n. 29, 30, sur saint Cyprien, p. 617-618 ; P. Allard, Histoire des persécutions pendant la première moitié du iw siècle, p. 311-347.

La controverse était terminée en Afrique ; mais elle se poursuivait à Rome sous une autre forme. Le prêtre Novatien, jaloux et ambitieux, renouvelant une erreur des montanistes du second siècle, prétendit que l’apostasie est un péché irrémissible, et que les lapsi ne pouvaient jamais être réconciliés même à la mort. Il eut l’appui de l’Africain Novat, opposant de parti pris, qui, après avoir été le prédicateur de la morale relâchée à Carthage, se fit l’apôtre du rigorisme en Italie. Le pape saint Corneille agit comme venait de faire saint Cyprien en Afrique. Il convoqua à Rome un concile, où furent présents soixante évoques. Ceux-ci prirent connaissance des décrets qui avaient été rendus sur la question en litige par le concile de Carthage et que nous avons résumés ; ils les ratifièrent de tout point et condamnèrent 1rs exagérations de Novatien qui fut exclu ainsi que ses adhérents de la communion de l'Église. Ce fut le triomphe définitif de la discipline traditionnelle qui procédait à la fois d’une miséricordieuse charité et d’une prudence. Eusèbe, II. E., 1. VI, c. xi.m, P. G., t. xx, col. 615-630 ; 1'. Allard, op. cit., p. 347.

Jusqu’au bout. l'Église s’inspira des mêmes principes,

proportionnant toujours la pénitence à la faute, et ce-