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AUMONE

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perdu du riche est le bien des pauvres, et celui qui retient ce superflu est un valeur. « N’étes-vous donc pas un avare et un voleur, vous qui vous appropriez ce que vous avez reçu pour le communiquer à plusieurs ? Si l’on appelle voleur celui qui dérobe un habit, doit-on donner un autre nom à celui qui, pouvant, sans se priver lui-même, revêtir un pauvre, le laisse néanmoins sans vêtement ? Le pain que vous retenez chez vous et qui est superllu aux besoins de votre famille, est aux pauvres qui meurent de faim. » Il faut interpréter ces formules oratoires et d’autres de même style qu’on rencontre surtout chez les Pères grecs, d’après tout l’ensemble de l’enseignement traditionnel. On peut dire qiie le superllu des riches est le bien ou le patrimoine des pauvres ; mais entendons-le dans ce sens large, que, dans les intentions de la divine providence, il est destiné au soulagement des pauvres. On peut dire même que le mauvais riche est coupable d’injustice et de vol, mais toujours dans un sens large, savoir, parce qu’il retient un bien qu’il devait communiquer à autrui. — Léon XIII a donné le sens exact de la tradition dans l’encyclique Rerum novarum : « Dès qu’on a suffisamment donné à la nécessité et au décorum, c’est un devoir de verser le superllu dans le sein des pauvres. Luc, xi, 41. C’est un devoir non pas de stricte justice, sauf les cas d’extrême nécessité, mais de charité chrétienne, un devoir par conséquent dont on ne peut poursuivre l’accomplissement par les voies de la justice humaine. Mais au-dessus des jugements de l’homme et de ses lois, il y a la loi et le jugement de Jésus-Christ notre Dieu, qui nous persuade de toutes les manières de faire habituellement l’aumône. »

2. Quant aux conciles, pour ne citer que les plus anciens, voici ceux du ive au VIe siècle, qui ont affirmé ou déterminé dans ses formes pratiques, le devoir de l’aumône, pour tous les chrétiens et surtout pour les clercs dépositaires des biens d’église : IVe concile de Carthage, 398, can. 17, 31, 83, 101, 103, Ilardouin, Acla concilioruin, Paris, 1715, t. I, col. 975-5)80 ; I er de Vaison, 4’t2, can. 4, ibid., cul. 1788 ; IIIe de Rome sous Symmaque, 502, can. 2, ibid., t. il, col. 978 ; Agde, 506, can. 4, 6, ibid., col. 998 ; I er d’Orléans, 511, can. 5, ibid., col. 1009 ; IIP de Paris, 557, can. 1, ibid., t. iii, col. 337 ; II e de Tours, 567, can. 5, ibid., col. 358.

3. Après l’époque patristique l’enseignement de l’Église sur l’aumône est resté le même à travers les siècles. Saint Thomas fut l’éloquent interprète de cet enseignement traditionnel, au moyen âge, dans trois questions de la Somme théologique, Il a II » , q. xxx-xxxii, intitulées : De misericordia, lie beneficentia, De eleemosyna. De nos jours, Léon XIII a redit le même enseignement avec son autorité souveraine, dans l’encyclique Rerum novarum déjà citée, puis dans l’encyclique Graves de communi, du 18 janvier 1901.

De cette dernière encyclique nous citons, parce qu’elle sera un complément de notre démonstration, la réponse à une objection des socialistes contre l’aumône. « Ceux-ci, dit le pape, condamnent l’aumône et veulent qu’elle disparaisse du monde, comme étant injurieuse pour la dignité naturelle de l’homme. — Mais si l’aumône est faite suivant les règles évangéliques et d’une manière chrétienne, elle n’a rien qui puisse ou entretenir l’orgueil de ceux qui donnent, ou humilier ceux qui reçoivent. Loin d’être déshonorante pour l’homme, elle favorise 1rs rapports sociaux en resserrant les liens que crée l’échange des services. Il n’est pas d’homme si riche qu’il -"il, qui n’ait besoin d’un autre ; pas d’homme si pauvre qui ne puisse en quelque sorte être utile à autrui. Il est naturel que 1rs hommes se demandent avec confiance ri mprêtent avec bienveillance un

mutuel appui, Ainsi la jusl et la charité, liées l’une

a I mtre sou< la juste et douce loi du Christ, maintiennent d’une m. on. re admirable la cohésion de la société humaine et, par un oyance, amènent chacun

des membres de la communauté à travailler à son profit particulier, en même temps qu’au bien général. »

III. Mesure.

La mesure de l’aumône et partant la gravité de l’obligation dépendent de deux conditions : d’une part, l’indigence du pauvre ; d’autre part, la possibilité’pour le riche de le secourir.

I. EXPLicATioxs préliminaires.

1° L’indigence du pauvre. — L’indigence peut se rencontrer à un triple degré.

1. Tantôt elle est médiocre, c’est-à-dire que ceux qui en souil’rent n’en sont pas absolument accablés et peuvent échapper à une situation plus grave au prix de la patience et de l’effort. C’est la situation des pauvres ordinaires qui mendient de porte en porte, celle aussi des ouvriers gênés qui cherchent du travail et réclament, en attendant, des secours. L’indigence ace degré s’appelle aussi nécessité commune, en raison de sa fréquence relative dans la vie sociale.

2. Tantôt l’indigence du pauvre est rjrave et la nécessité pressante, c’est-à-dire que les besoins matériels de l’indigent exigent une satisfaction plus immédiate à laquelle il ne pourrait lui-même pourvoir que très difficilement. Telle serait la situation du malheureux qui aurait mendié longtemps sans recevoir le pain qui lui est nécessaire, celle aussi de l’emant, du vieillard et de l’ouvrier qui serait trop faible, trop infirme ou trop malade pour travailler et même pour mendier.

3. Tantôt enfin l’indigence est absolue et la nécessité du pauvre est extrême. Le malheureux qui se trouve dans cette nécessité ne peut sortir de sa misère par ses propres forces, et cette misère est telle que si on ne vient à son secours, il va succomber et mourir. Tel le miséreux abandonné, consumé par la maladie ou mourant de faim.

Les biens temporels.

Il y a lieu de distinguer

aussi, au point de vue qui nous occupe, trois sortes de biens :

1. Les uns sont nécessaires à la vie de celui qui les possède et à celle de ses enfants et de ses parents. Le riche, comme le pauvre, a une vie à sauvegarder et des intérêts essentiels à détendre. Pour cela il lui faut l’usage de certains biens sans lesquels il ne pourrait ni subsister ni faire subsister les siens. S’en dépouiller serait se mettre lui-même et sa famille dans l’extrême nécessité.

2. D’autres biens sont nécessaires à la condition, en ce sens que le riche en a besoin pour garder son rang dans le monde avec bienséance et dignité, mais sans faste comme sans luxe exagéré. Ces Liens lui serviront, par exemple, à perfectionner par l’étude ses connaissances, à assurer l’éducation puis l’établissement île ses enfants, à étendre ses relations, à sauvegarder et défendre sa réputation, à se prémunir pour l’avenir contre la maladie, les accidents et toutes les chances contraires de la l’orli

3. Il y a enfin des biens temporels qui ne sont nécessaires ni a la vie, ni à la condition, el restent disponibles, quand leur propriétaire a pourvu à tous les besoins

présents de sa famille et assuré son avenir dans i

saye mesure. Ceux-ci sont appelés Superflus. - Nous

sommes d’avis qu’avant de qualifier de superflus les revenus d’un riche, il faudra tenir compte des exigi particulières He son train de vie et de ses légitimes ambitions d’avenir, mais ; iussi il faudra se garder contre l’exagération opposée et ne poinl alléguer des nécessités de condition purement imaginaires ; autrement il n’y aurait plus nulle part de Superflu. Or, la proposition

suivante a été’condamnée par Innocent XI, 2 mars 1679, n. 12 : Vix m sœcularibus inventes, etiam in regibus, super/luum statui. Et ita vix aliquis tenetur « il eleemosynam quando tenetur tantum ex superfluo status. Denzinger, Encliiridion tymb. et <’</., VVurzboi 1895, n 1029, p. 259.

II. RÈGLES PRATIQUES.— 1° riylc.-Qu.md le prochain