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AUGUSTINISME (DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE DE L')


mot prêle à la critique sous le rapport grammatical, c’est possible… Cette grâce nous l’appelons suffisante non en ce sens qu’elle suffit à tout, mais en ce qu’elle suffit à donner le pouvoir potentiel. » lbid., p. 393. Cf. Alvarez, disp. LXX1X. L’exemple d’Alvarez est remarquable : celui qui est dans la nuit, mais a des yeux sains, a la puissance complète de la vue. Les adversaires objecteront : cet homme dans la nuit sera-t-il responsable, s’il ne voit pas ?

4e dogme. — La liberté est très sincèrement affirmée dans celui qui agit bien, sous l’action de la grâce efficace, comme dans celui qui agit mal, en étant privé. Voici les principales explications : a) L’impulsion divine détermine la volonté à un acte libre, à se déterminer librement. Les adversaires objectent : Dieu ne peut faire ce qui est contradictoire : qu’un acte soit libre, si je ne puis l'éviter. — b) Sous la prédétermination, il reste la puissance complète à l’acte opposé ; et cette puissance, remarquent avec raison les thomistes, reste in sensu composito, sous l’action de la grâce, quoiqu’elle ne puisse s’exercer qu’en son absence, in sensu divisa. Mais, objecte-t-on, cette puissance, par exemple la faculté de marcher qui reste dans un homme enchaîné (exemple classique des thomistes), ne suffit point pour qu’il soit libre de marcher ou de ne pas marcher. — c) Dernière explication : il dépend de nous d’avoir la grâce efficace. « Dieu l’offre miséricordieusement à tous sans exception, avec et dans la grâce suffisante, de sorte qu’en fait la grâce efficace ne manque jamais à aucun homme, à moins qu’il n’ait mis librement et coupablement luimême obstacle à la miséricorde divine. » P. Guillermin, p. 394, citant Lémos, Alvarez. A cette explication on objecte : Quel obstacle puis-je mettre, puisque, avec la grâce suffisante, je ne puis me déterminer à rien, ni bien ni mal ? Et puis, cet obstacle, d’après Alvarez, c’est un péché précédent ou au moins le péché originel. De auxil., disp. CXIII, n. 8, cité par P. Guillermin, p. 399. Que dire du premier péché, du péché d’Adam ? Enfin, s’il dépend uniquement de moi d’avoir la première grâce efficace, que devient la gratuité? Comment Dieu me discerne-t-il ?

2. Interprétation de Vaugustinisme par les molinistes.

a) Exposé du système. — Il embrasse trois théories principales :

1° théorie plus douce du péché originel. Molina a mis en évidence et en thèse ce que les scolastiques avaient répété çà et là au sujet du sort des enfants morts sans baptême, moins malheureux que ne l’a pensé saint Augustin, et de l'état de notre nature déchue, dépouillée de ses dons surnaturels, mais non de la possibilité d’actes bons naturels.

2e théorie : la distribution de la grâce est expliquée dans le sens admis par les grands scolastiques. Dieu voulant le salut de tous, donne à tous des grâces (médiatement ou immédiatement) suffisantes au salut, en sorte que nul ne se damne que par sa faute et non par défaut de la grâce nécessaire ; que nul ne pèche par impuissance d'éviter le péché. On reproche aux molinistes le pacte affirmé entre Jésus-Christ et son Père de donner des grâces suffisantes à tous. Ils répondent : si de fait Dieu donne des grâces suffisantes à tous, selon l’opinion commune, ce ne peut être qu’en vertu des prières et de la rédemption du Christ acceptée par Dieu pour mériter ces grâces. C’est tout ce que l’on veut dire.

.3" tMorve : elle est la principale > ! la clef de voûte du me, et elle concerne la conciliation de l’infaillible action divine avec la liberté, Elle suppose la science moyenne à la base. Dieu sachant de toute éternité la réponse que ferait chaque volonté à chacune des grâces innombrables par lesquelles il peut la solliciter au bien dans telle ou telle des circonstances possibles, choisit librement pour chaque instant la grâce qu’il lui plaît de donner. S’il donne une grâce à laquelle il sait que

l'âme consentira, cette grâce est efficace, et nous devons le remercier de l’avoir choisie par pure bonté ; s’il donne une grâce à laquelle il sait que l'âme ne consentira pas, cette grâce est suffisante, et on l’appelle ainsi, parce que, si l’homme voulait, il ne dépend que de lui d’y consentir et de faire le bien. Ainsi est sauvegardée la liberté sous l’action de la grâce efficace, et le pouvoir de bien faire avec la grâce suffisante. Nombreuses sont les objections. Voici lf>s principales : Dieu ne cesse-t-il pas d'être cause première des actes libres ? Comment et où connaît-il ces déterminations de la volonté purement possible ?

b) Ce système n est-il pas en opposition avec Vaugustinisme ? — Tous ceux qui ont attribué à saint Augustin une impulsion irrésistible de la grâce ont dû aussi voir dans Molina un adversaire de l’augustinisme. Mais s’il est vrai que le grand docteur enseigne, comme plus tard les conciles de Sens et de Trente, que la liberté peut résister à la grâce, on ne peut nier l’accord fondamental. Ajoutons seulement quelques détails historiques : a. On a reproché à Molina comme un aveu d’anti-augustinisme et une irrévérence envers le docteur de la grâce, la naïve croyance exprimée par lui que son svstème, expliqué au Ve siècle, aurait préservé l'Église des luttes pélagiennes et des troubles soulevés parles écrits d’Augustin. Cf. Serry, Hist. congreg. de aux., 1. I, c. xiii, 1740, p. 71. Cela veut dire qu’il trouvait beaucoup d’obscurité dans ces écrits, et peut-on le nier après les luttes de trois siècles ? — b. Dans les controverses de auxiliis, on l’a dit col. 2468, Clément VIII ordonna surtout de comparer la doctrine de la Concordia avec celle d’Augustin et remit un écrit renfermant une longue série de textes augustiniens à l’appui d’un certain nombre d’assertions. Les défenseurs de Molina acceptèrent tout. — c. On ne peut douter que les théologiens consulteurs crurent en majorité trouver une opposition entre Molina et Augustin. Mais leur verdict ne fut pas définitivement approuvé et, ce qui est très important pour l’histoire de l’augustinisme, il est certain qu’ils demandaient la condamnation de propositions aujourd’hui universellement enseignées dans toutes les écoles. Ainsi la l re proposition dans le projet de censure reproduit par Serry, Hist. cong., append., p. 166, est celleci : In statu naturse lapsse potest homo, cum solo cencursu generali Dei, efficere »pus bonum murale, quod in ordine ad fuiem hominis naturalem, sil rerx virtutis opus, referendo illud in Deum, sicut referri potest ac deberet in statu naturali. Voilà ce qu’on voulait proscrire : c'était l’enseignement de tous les scolastiques, moins Grégoire de Rimini. Quel théologien ne l’enseigne pas aujourd’hui, depuis que l’opinion opposée a été condamnée dans la proposition 57e de Baius ? Denzinger, Enchiridion, n. 917. Cl. Serry, op. cit., I. IV, c. xx, p. 560, justifiant la censure. La seconde, que dans le plan primitif, non encore corrigé-, on proposait de censurer, était l’affirmation de la possibilité de l'état purSB nature. Or qui ne l’adopte aujourd’hui ? — d. Enfin il faut bien que le système affirmant la possibilité de résister à toute grâce n’ait pas de difficulté essentielle, puisque toute l'école augustinienne l’admet pour l'état d’innocence. Voir col. 2188. — e. La conclusion des congrégations de auxiliis. On a cru longtemps que le pape avait réellement prépare'" une bulle de condamnation de Molina, suspendue par des considérations étrangères au débat. Aujourd’hui, on sait par le document autographe de Paul V, Schneemann, Controversiarum de dit), grat., 1881. p. 289-292, que la liberté fut laissée aux deux écoles jusqu'à nouvelle décision apostolique. Le pape disait : « Il n’y a pas nécessité de juger la controverse, parce que l’opinion des dominicains est très différente de celle de Calvin : ils disent en effet que la grâce ne détruit pas, mais perfeclionne le libre arbitre ; elle exerce son influence de manière que l’homme