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AUGUSTINISME (DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE DE L"


nation et d’influence a pour conséquence une véritable nécessité imposée à tous les êtres, même à la volonté. Jésus-Christ lui-même n’échappera point à cette loi d’une nécessité universelle : nulla voluntas avala est liberior voluntate Christi humana : et illam potuit nccessitare voluntas ejtis divina, inw et necessitavit de facto ad singulos liberos actus suos et ad omnes et singulas cessationes et vacationes libéras ab actu. lbid., 1. III, c. i, p. 640.

b) Dieu n’est pourtant pas l’auteur du péché parce que le mal, n’étant rien de positif, n’a pas de cause, c’est un pur néant. Il admet d’ailleurs qu’il est inexact de reconnaître en Dieu la permission du péché. Dieu ne permet rien, il cause tout. L. I, c. xxxii, p. 282. Aussi embarrassé par ce problème, finit-il par dire : niallem… majores audire quam ipse minimus respondere. L. I, c. x.xxiv, p. 307.

c) Et la liberté subsiste-t-elle ? Oui, répond-il, et il en prend la défense, 1. II, c. xvin ; mais cette délense est exactement celle que les jansénistes devaient reprendre : la liberté n’est point incompatible avec une nécessité absolue et inévitable, pourvu que celle-ci ne soit pas imposée par une créature, mais par Dieu. L. II, c. XI.

d) On verra (voir Thomas Bradwardin) que Wiclef lui emprunta, avec son prédéterminisme fataliste, une autre théorie destructive de toute morale, la distinction des péchés véniels et des péchés mortels selon qu’ils sont commis par un prédestiné ou un non-prédestiné. Voir d’Argentré, Collectio judiciorum, t. I, p. 236.

3. Après Eradwardin.

Son livre fut l’origine de tout un mouvement prédestinatien, peu étudié jusqu’ici, qui se manifeste à diverses reprises dans les discussions de l’université de Paris. Peut-être même ses disciples furent-ils assez ardents pour que, malgré leur nombre très restreint, on puisse parler d’une école de Bradwardin. Sans entrer dans les détails, parmi les maîtres que séduisit cet augustinisme taussé, il laut distinguer deux courants.

a) Les uns admirent le prédéterminisme divin avec toutes les conséquencee que le théologien anglais en avait tirées : la nécessité antécédente pour tous les actes excluant tout domaine de notre volonté sur ses actes. Tel ce Jacques de Moret (ou de Morey ? cf. Ilauréau, Notices et extraits des mss. latins de la Bibl. nat., t. xxxiv, 2e partie, p. 361) disant dans une dispute publique : sequitur quod nécessitas et demeritum non répugnant ; sequitur quodpositioBradwardini, quænegat creatam libertatem respecta actus… et concedit tamen ibidem inesse demeritum, non est theologice impugnabilis évidente)- vel ef/icaciter. Ct. d’Argentré dans l’édition des Opéra Martini Grandin, t. vi, p. 184. Tel aussi ce François de Pérouse, 0. M. (cf. Denifle, Chartular. univ., t. iii, p. 412), qui soutenait formellement, à la suite de Bradwardin, voluntatem divinam per suum velle esse necessitatem antccedenlem respecta creatse [voluntatis] tollentem libertalem. D’Argentré, Colleclio judiciorum, t. i, p. 3135.

h) D’autres, plus modérés, furent séduits par le principe de la prédétermination universelle, mais crurent pouvoir en repoussi c les conséquences et défendre la liberté plus efficacement que Bradwardin, en évitant d’accorder que la volonté est nécessitée par cette prédétermination. Ceux-ci représentent exactement aux xive et xv siècles les célèbres défenseurs de la prédétermination, limiez, Lémos, Alvarez, qui ne semblent point les avoir connus. Il est aujourd’hui incontestable qu’on s’est absolument trompé quand on a cherché les origines de la prédétermination physique au xw siècle, et spécialement quand on en a attribué l’invention a Bafiez. Molina ne lui croyait pas de son temps [dus de trente ans d’âge, I.e 1’. Frins, s..1., ne remonte guère qu’à la même époque vers le milieu du xvie siècle. S. Thomæ doclrina de cooperutione Dei… Neo-lhomitmi orlus,

p. 470. Or la prédétermination (même désignée très souvent par ce terme), dans le sens d’inlluence physique irrésistible des thomistes du xvie siècle, mais dégagée, dans la pensée de ses détenseurs, des erreurs fatalistes de Bradwardin, eut ses défenseurs (peu nombreux, il est vrai, et vivement combattus), dans la seconde partie du xive siècle. Les formules sont exactement les mêmes que celles du xvie siècle, ainsi que les arguments pour ou contre, et la vivacité même des discussions ; les comptes rendus de ces disputes dans le manuscrit 16409 de la Bibliothèque nationale, fonds latin, en sont une preuve. Donnons-en un exemple. On oppose au bradwardinien Etienne de Calvo monte, que dans son système il n’y a plus de liberté, puisque ad quodlibet taie agere avatura determinatur ct preevenitur a Deo determinatione et prseventione infrustrabili. La liberté subsiste, reprend Etienne : Nam hujusmodi prædetertninatio est liberrima, liberrime movens ail extra quodlibet secundum suant naturam propriam : quia voluntas est principium sive causa libéra libère sequitur Intjusmodi precdeterniinationem, et Deus etiani ipsam libère prædeterminat. Ne sont-ce point là les formules du xvie siècle ? Elles datent cependant de 1360 à 1380, et les répliques sont exactement celles que les molinistes opposaient à Lémos et à Bafiez. Voir les documents dans d’Argentré-Grandin, op. cit., t. vi, p. 182 ; Ilauréau, op. cit., sur le ras. 10409 de la Bibliothèque nationale.

Une autre façon d’adoucir ce bradwardinisme pour le rendre orthodoxe, consistait à admettre la prédéterminalion, et même la nécessité qui en résulte, mais on la limitait aux actes bons, et on exceptait les péchés. Ainsi dés 1380 on trouvait les deux courants qui se sont manifestés au XVIe siècle, quand un grand nombre de partisans de la prédétermination, malgré les appels de Lémos à la logique, protestaient que c’était une impiété d’admettre la prédétermination, au péché (même pris matériellement), par exemple, Zumel et le dominicain Biaise Verdu. Voir Relectio pro divini auxilii ef/icacia, Barcelone, 1610, p. 55. Guillaume de Fontfroide, bradwardinien, décédé’vers 1380, soutient avec son maître que « la nécessité venant d’une créature détruit la liberté, mais non la nécessité qui vient a divina preeventione » ; mais i ! ajoute aussitôt en parlant de cette prédétermination, qu’elle ne peut être admise jiour le péché, sed bene répugnât (prœvenlio) demerito, secundum tutius loquentes, quamvis aliqui opposition <licaul. D’Argentré, Collectio judic, t. i, p. 59-60 ; l. i a, p. 334. Voilà donc les deux systèmes de prédétermination déjà existants au xiiie siècle.

4. Opposition constante des théologiens au déterminisme bradivurtliuiai. — Nous devons constater 1 issue de cette tentative : ce fut un échec absolu, si bien que le souvenir même en était presque perdu quand II. Saville publia l’œuvre de Bradwardin en 1618. Les granda théologiens maintinrent au XIVe siècle contre toutes le :  ; personnalités audacieuses le domaine de la volonté sur tous ses actes. Signalons les faits marquants : <> lu premier tait significatif, c’est l’aveu par Bradwardin de son isolement complet. Il proclame très haut qu’il rompt avec l’idée dominante dans l’enseignement de son temps et même avec la tradition. Il est vraiment l’inventeur de son système. Voir sa préface. Ailleurs, p. 602, il voit se lever contre sa doctrine le grand nombre des Pères "i des Docteurs, »iio rt totus pœne mundus. L’univers est infecté de pélagianisme..Moi-même, dit-il, étudiant en philosophie, je lus pélagien, je croyais ce que tous les maîtres répétaient quod uns sumus domini noslrorum actuum liberorum, mais un rayon a leste l’illumina. L. 1, c. xxxv, p. 308. Ce témoignage est précieux pour établir l’orthodoxie des écoles en 1340 et le caractère d’innovation du prédéterminisme bradwardi nien.