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AUGUSTINIANISME


saient donc les anciens ? Quel était leur système de conciliation ? Sans doute, ils ne soulevaient point la question dans les mêmes termes qu’aujourd’hui, ils ne parlaient point encore de grâce suffisante et efficace (division postérieure au concile de Trente), mais le problème de la liberté et de la grâce, posé par Pelage, ne pouvait leur échapper : ils le traitaient, en effet, quand ils examinaient comment le nombre des prédestinés pouvait être certain et immuable, chaque élu étant toujours libre de défaillir. Or en étudiant de près les théologiens anciens du moyen âge, on s’aperçoit bientôt qu’on peut les diviser en trois classes. Un groupe très restreint, représenté par Th. Bradvvardin († 1349), adopta la prédétermination physique, mise en circulation par ce théologien. Voir Augustinisme et Thomas Dhadwardin. Un second groupe, non moins restreint, sacrifiait, d’une manière plus ou moins consciente, les droits de Dieu, ou l’infaillibilité de la providence, ou même, avec Durand, le concours divin. Mais l’immense majorité des théologiens, fidèle aux deux dogmes, n’en concevait d’aufre conciliation que l’infaillibilité de la providence par l’influence morale exercée sur la volonté. Thomassin, nous l’avouons, ne s’est point trompé, en les réclamant pour ancêtres, et, malgré quelques inexactitudes de détail, son étude historique sur ce sujet constate avec raison ce fait important. Voir Thomassin, Consensus scholse de gratta, dans les Doginata tlteol, Paris, 1870, t. v.

1. Les prédécesseurs de saint Thomas.

Les fondateurs de la scolastique n’expliquent l’action de la grâce que par l’influence morale décrite plus haut, et en recourant toujours aux événements extérieurs préparés par la providence pour exercer cette influence morale. Saint Anselme, dans son traité De concordia… grattée… cuni libero arbit., c. iv, P. L., t. CLvm, col. 524-525, décrit une triple action de la grâce : a) mitigando aut penitus removendo vim tentationis impugnantis ; l>) aut awjrndo affection… rectitudinis ; c) surtout les invitations extérieures providentielles : deniqne, quum omnia subjaceant disposilioni Dei, quidquid contingit homini, quod adjuvct liberum arbitrium. Saint Bernard n’a pas d’autre secret : dans un texte qui devint fameux et fut souvent cite' 1, il réduit toute l’action divine pour obtenir le consentement aux saintes frayeurs, aux épreuves ou aux doux attraits de la consolation : Hoc enim intendit, quum terret aut PERCUTiT, ut faciat volunlarios, non vt salvet invitos ; quatenus, dv/ni de malo mutai voluntatem in bon uni, transférât, non auferat libertatem. De grat. et hb. arbit., c. xi, n. 36, /' /.., t. clxxxii. col. 1020. Cl. In canlic, serm. xxi, n. ID-I I. P. L., t. Cl.xxxill, col. 877. Alexandre de Unies i ] 1245), pour expliquer le compelle intrare de la grâce i reeours qu'à l’influence morale des invitationa multipliées : aliguando movet ipsum (Deus) ver et riMORES ni convertatur ad bonum. Et il cite li' lexte de saint Bernard. Summa theol., Ill a, q. i.xi, m. VI. a. i.

J. Suint Thomas. — Il a si énergiquement affirmé l’infaillibilité absolue des plan-, divins et de la prédestilemandé comment elle se concilie avec notre liberté, et il a répondu en développant cette action providentielle qui arrive a un résultai certain au moyen il. causes incertaines et contingentes, parce que, si lune fait défaut, l’autre suppléera : Et hoc modo est ' «  f., tdestinalione ; liberum enim arbitrium deficerepoi talute ; tamen m eo quem Deus prédestinât, ror

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si i adat, oi '". ticul exhm tationet ci suffra i/ui orationum, donum gratiæ, ri alia hujusmodi, quiadminiculatur homini ad salutem. Deverit., q. VI, a. 3, Opéra, Paris, 1889, I. Xiv. p. 136. C’est bien an fond l’influence morale de la grâce rendue infaillible par la multiplicité des moyens dont Dieu dispose. Saint

Thomas complétait-il ce qu’il y a d’imparfait dans un système qui semble supposer des tâtonnements ? Ce n’est pas le lieu de le rechercher. Toujours est-il que ces textes furent très remarqués et inspirèrent un grand nombre de successeurs du saint dans l'école thomiste comme en dehors. D’ailleurs, d’après le dominicain Jean Gonzalez de Léon, professeur à Rome en 1636, cilé par le P. Guillermin, Revue thomiste, janvier 1903, p. 666, saint Thomas n’aurait jamais admis une différence essentielle « entre la grâce actuelle efficace et la grâce actuelle suffisante, entre celle qui est effectivement suivie de l’acte salutaire et celle qui, par la faute de la créature, en est frustrée. Il affirme même explicitement qu’en ce dernier cas la grâce divine est encore une motion, une impulsion » . Et il cite deux passages remarquables : In IV Sent., 1. IV, dist. XVII, q. I, a. 1 ; In I Thess., v, 19, lect. ni. Il n’y a qu’une différence de degrés, la grâce efficace étant assez intense pour vaincre les résistances de la passion, et Dieu voyant cette victoire non en vertu de la science moyenne, mais dans l’intensité même de cette grâce.

3. Apres saint Tltomas.

Jean Capréolus, le thomistarum princeps († 1444), ne donne point d’aulre explication de l’infaillibilité de la prédestination, et il cite expressément le texte De verilate, In IV Sent., 1. I, dist. XL, q. i, a. 3, Tours, 1800, t. ii, p. 486 sq. Gilles de Rome (JEg. Colonna, f 1316), le fidèle disciple du docteur angélique, cherche à son tour comment Dieu incline la volonté d’une manière infaillible. TA il recourt comme Thomas d’Aquin à cette variété de moyens dont l’action est purement morale : nam vel adversitalibus vel aliis stimulationibus aliquando homincs festinant converti, etc. In IV Sent., 1. II, dist. XXV, q. i, a. 3. — Raynier de Pise, 0. P. († 1351), explique de même la certitude de la prédestination par une invitation pressante ou intérieure ou extérieure : AUT enim per exteriores occasiones, et incitationes ad salutem, ut puta prœdicationes, exempla, œgritudines, flagella, lerrores ; AUT per interiorem instinctum et molum, scilicet car hominis interius movendo ad bonum. Pantheologia, v° Gratia, c. il, Lyon, 1655, p. 276 ; cf. v° Liberum arbit., c. vii, p. 760. — François de Silvestris (Ferrai iensis), 0. P., général de l’ordre, développe longuement cette action providentielle qui dirige, soutient et sauve le prédestiné' divina motione dirigente et protegente contra tentationum incursus. Voir /h /// ai " Sum. cont. gentes, c. ci.v. — On pourrail multiplier les noms de théologiens qui, ignorant la prédétermination physique et la science moyenne, expliquent l’infaillible efficacité' de la prédestination par la multitude et l’insistance des invitations de Dieu. Au XVIe siècle en particulier, c’est l’idée dominante chez les apologistes de la foi contre Luther et Calvin. Sixte de Sienne, (). P. (|- 1569), au moment même où il rétracte la théorie de son maître Anibroise Catharin sur les deux prédestinations, explique la certitude du salut de tous les élus par cette multiplicité de grâces : tanto munere gratia (eleclos) donavit, tantisque ad salutem prsesidiis instruxit. iii, salva rihim arbilrii libertate, a salute excidere nequeant. Et encore : tanta gratiarum affluenlia dignatus est, toi oc talibus ad heut itudinem consequendam vim< i US juvit, etc. — Dominique Soto, 0, P. iy 1560), dans son beau traité De natura et gratia, dédié au concile de Trente, 1. I, c. xv, xvi, n’est pas allé plus loin : non ad se nos Deux trahit ut pecudes… sed illuminando, dirigendo, alliciendo, puisando et instigando. Op. cit., c. xv, Anvers, 1550, p. ! '. Cf. lu Epist. ad Rom., ix, 12, Anvers, 1554, p. '276.

2 « Depuis les controverses du srv/ » siècle. - Le retentissement donné aux deux systèmes de la prédétermination physique et de la science moyenne, ne tii point oublier la théorie de la détermination morale de la volonté par les appels de Dieu. Au contraire, â partir