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AUGUSTINIANISME


Bien que de longues conlrovorses aient eu lieu sur ces divers points, notamment sur le second (à cause de la terminologie imprécise), nous croyons avec Palmieri, De gratia, p. 488, que les explications données par Berti et Marcelli, op. cit., p. 496. sont suffisantes : le mot délectation est pris dans un sens large pour tout mouvement allectif et le mot charité pour tout bon sentiment, boni cupiditas.

2. La délectation victorieuse.

La grande loi de la volonté déchue, c’est que des deux délectations ou impulsions qui la sollicitent, celle-là l’emporte toujours infailliblement et invinciblement, dont le degré est plus intense. Au lond, chaque degré de grâce neutralise un degré de délectation mauvaise et réciproquement. La victoire reste à la plus forte. C’est cette loi qu’on a cru formulée par saint Augustin, Expos. Epist. ad Gal., n. 49, P. L., t. xxxv, col. 2141 : Quod enim amplius nos détectât, secundmn id operemur necesse est.

3. L’efficacité de la grâce est ainsi expliquée : elle a son origine uniquement dans le degré d’intensité de la bonne inspiration, degré supérieur à la concupiscence actuelle qui lui est opposée. Cette grâce devient ainsi la délectation victorieuse à laquelle nulle volonté ne résiste. Au contraire quand la grâce est inférieure à la concupiscence du moment, elle est inefficace, elle est cette grâce parva et invalida, dont les augustiniens parlent souvent, d’après saint Augustin, De grat. etlib.arb., c. xvii : qui ergo vult facere Dei mandatum et non potest, jam quidem habet voluktatem ronaii, sed adhuc parvam et ixvALiDAM ; poteritautem, cummagnam habuerit et robustam. Voir Marcelli, loc. cit., t. v, p. 197. (On voit que saint Augustin parle non de la grâce, mais de la volonté libre qui peut être incomplète, inefficace).

Ainsi, contrairement au système thomiste, qui affirme une différence spécifique entre la grâce suffisante et la grâce efficace, en sorte qu’avec la première seule il est métaphysiquement impossible d’agir, les augustiniens n’admettent qu’une distinction de degrés, et encore relativement aux dispositions actuelles de la volonté'. Ainsi la même grâce peut être efficace ou purement suffisante dans divers individus ou dans le même à divers instants, selon que la délectation mauvaise atteindra un degré plus faible ou plus fort. Iicrti, De tlieol. dise, 1. XIX, c. viii, 1776, t. ii, p. 409.

Si l’on objecte que cette délectation victorieuse est le centre et comme l'âme du jansénisme, les augustiniens répondent : Pour Jansénius, la délectation victorieuse anéantit {'indifférence de la volonté et crée une nécessité pour la volonté. Pour nous, l’indifférence et la liberté demeurent. Berti, loc. cit., prop. iv, p. 42-41, et c. xr, p. 53 : NONQVAM eyexiet ut non amplectamur LIBBRRIMA voluntate, quod nos magis trahit magisque lal. Seulement le problème demeurait : les aveux df Jansénius n'étaient-ils point une suite logique du système ?

théorie : la distribution des grâces est restreinte

dans de tris sévères limites. — 1. Les augustiniens admettent en Dieu la volonté' de sauver tous les hommes, ri en Jésus-Christ, l’offrande de sa mort pour tous, mais ils donnent à ces formules un sens subtil qui t a Dieu de ne point vouloir donner à tous les moyens indispensables du salut. Marcelli, I. XXV, c. vi, t. vi, p. 311-324. — 2. La grâce suffisante n’est donc point conférée à tous : sont exclus, non seulement les enfants morts sans baptême, Marcelli, 1. XXIX, c. xvi, p, 302, m. us encore beaucoup d’infidèles, p. 303, et ifs pécheurs obstinés, p. 301. Ceux-ci, au moment même où la loi les oblige, n’ont pas la grâce suffisante, ni par suite le pouvoir d’accomplir cette loi : ces préceptes sont donc alors impossibles pour eux, et cependant la violation leur est imputable et doit être punie, p. 2953 n El cela, malgré les textes de saint Augustin cités, p. 309, par Marcelli lui-même.

4e théorie : la loi de la charité plus rigoureuse et plus universelle que dans les autres écoles théologiques.

— Nous avons indiqué le rôle exceptionnel de la charité chez saint Augustin, col. 2135 sq. Les augustiniens se sont attachés aux formules mêmes du grand docteur, sans en préciser assez le sens. Voici quelques principes de cette école : 1. La charité (comme habitus) est identique à la grâce sanctifiante, ce qu’ont enseigné beaucoup d’autres docteurs. — 2. La loi d’aimer Dieu oblige toujours et pour chaque instant (semper et pro semper) en sorte que la volonté doit sans cesse aimer Dieu, actualiter vel virtualité)'. Marcelli, 1. XXX, c. xvi.

— 3. Cette charité envers Dieu doit être souveraine, non seulement appretialive, préférant Dieu à toute créature, mais encore dans son intensité, intensive ; ce qui semble bien difficile à réaliser ! Marcelli, ibitl., p. 107. — 4. Enfin cette loi de charité oblige l’homme à rapporter chacune de ses actions à Dieu, fin suprême, au moins virtuellement. Et comme ce mot pourrait être ambigu, ces auteurs expliquent formellement qu’ils attaquent l’opinion commune qui se contente de la relation interprétative ou objective. Marcelli, 1. XXX, c. xviil, t. vi, p. 112-118.

/II. critique nu système. — Il serait infini de rapporter ici les raisons pour lesquelles les autres écoles ont toutes rejeté ce système. Je signale seulement les reproches faits aux points fondamentaux, et je les signale en historien, laissant au lecteur de décider. Je tiens à redire que tous les augustiniens réfutent sincèrement, sinon clairement, toutes les propositions condamnées de Baius, de Jansénius, de Quesnel. Voir Berti, De tlieol. discipl., 1. XVII, c. ni, p. 90-97, et passim ; Bellelli, ouvrages entiers contre Quesnel, etc. (voir bibliographie) ; Marcelli, 1. XXVII, c. xii-xv.

1° Le surnaturel semble sombrer comph lement ; la grâce étant exigée absolument dans l’homme par les attributs de Dieu est naturelle, et il n’est pas possible d’avoir deux ordres superposés. Dire que Dieu pourrait de puissance absolue créer l’homme sans la grâce, parce qu’il le pourrait, si ses attributs de sagesse et de bonté ne le lui interdisaient, c’est affirmer une réelle impossibilité. Enfin, si la grâce est due ex decenlia creatoris, c’est bien que la nature humaine serait sans elle mal ordonnée et incomplètement pourvue, et par suite c’est la nature qui exige la grâce.

2° Le système réunissant deux économies différentes de la grâce dans les deux états, la grâce indifférente (ver salilis) dans l'état d’innocence, et la grâce efficace par elle-même après la chute, n’accumule pas seulement les difficultés des deux systèmes, mais, semble-t-il, les contradictions. — a) Serry l’a montré en partie (voir bibliographie), en reprochant au système d’abord de s'écarter des anciens augustiniens de l'école égidienne, puis d'être à la fois moliniste avant la chute et prédéterministe après la chute. — b) Mais il y a plus que cela : avant la chute, le système est bien autre chose que le molinisme ; celui-ci en effet assure l’infaillibilité et l’efficacité du gouvernement divin par la science moyenne qui montre à Dieu les déterminations de la liberté avec chaque grâce, ce qui lui permet de gouverner a sun gré et de prévoir avant son décret ce qu’amènera la grâce qu’il veut donner. Mais pour les an- 1 1 tiniens, qui rejettent la science moyenne-. Dieu donne à Adam une grâce versatilis dont il ne peut savoir le résultat. La prédestination, qui est une condition essentielle du gouvernement divin, bien plus, la prescience même des futures déterminations d’Adam, est absolument impossible. C’est la ruine de la providence. — c) Au contraire, après la chute. Dieu prévoit, Dieu prédestine, mais parce que la détermination libre de la volonté va être enchaînée par la théorie des degrés dans les délectationsi

3° La théorie de la délectation invinciblement vie-