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APOLOGISTES (LES PÈRES)

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reconnaissables. C’est ainsi par exemple, qu’Octavius fait un mérite et une gloire aux philosophes d’avoir proclamé l’unité de Dieu, malgré la différence de leur langage et la diversité des noms employés. Octavius, 19, 20, P. L., t. iii, col. 293, 297. En avertissant de ne pas se laisser prendre aux fables, enfantées par l’erreur, mais réfutées par les sages et condamnées par la raison, col. 298, il accuse surtout les poètes d’avoir nui à la vérité, 21, col. 307. Un courant s'établit donc en faveur de la philosophie ; on lui emprunta des arguments pour la combattre sur son propre terrain et avec ses armes ; et loin de lui jeter l’anathème, on l’estima assez pour la mettre au service de la foi.

Du moment que les philosophes se rencontraient avec les chrétiens sur certains points, et qu’entre la philosophie et le christianisme il y avait des rapports de similitude ou d’analogie indiscutables, la question se posait de savoir quelle était la cause de cette rencontre et de cet accord partiels. Fallait-il les attribuer à la puissance de la raison naturellement chrétienne ou à un reste de la tradition primitive ? Fallait-il y voir le fruit de quelque révélation particulière ou un emprunt à l'Écriture ? La question, bien que non précisée en ces termes, reçut deux solutions : l’une, hypothèse rendue vraisemblable par les travaux d’Arislobule, de Philon et de Josèphe, ainsi que par les voyages des philosophes grecs en Palestine ou en Egypte, mais non vérifiée dans la réalité des faits, consistait à dire que les philosophes avaient connu et mis à contribution les Livres saints. Justin, Apol., i, 44, 59, col. 396, 416 ; Théophile, Ad Autol., il, 37-38, col. 1116-1120. Ces emprunts, auxquels Athénagore ne croit guère, Légat., 30, col. 1165-1168, font dire à Octavius que, sur certains points, poètes et philosophes tiennent à peu près le même langage que les chrétiens, et que, par suite, les chrétiens sont autant de philosophes ou que les philosophes ont été autant de chrétiens, Octavius, 19, 20, P. L., t. iii, col. 297, 298 ; emprunts défigurés et démarqués, selon Tatien, par ceux qui voulaient avoir l’air de dire quelque chose de personnel ou de donner à la vérité, faute de la comprendre, l’apparence d’une fable, Oral., 40, col. 881 ; emprunts altérés sans scrupule, observe Tertullien, qui singent la vérité, la corrompent jusqu'à rendre incertain ce qui était certain. Apolog., 46, 47, P. L., t. i, col. 507, 516. Prise de ce biais, cette solution trouvera crédit et conduira l'école d’Alexandrie à des rapprochements ingénieux mais forcés, plus vraisemblables que vrais, à tout un système qui offrira prise à la critique.

L’autre solution, que saint Justin a eu également le mérite de formuler, est celle de la vérité disséminée dans le monde. Après avoir fait le tour des philosophies, saint Justin trouva la vérité dans les prophètes, Dial., 7, 8, col. 492 ; mais, constatant que les philosophes en général et Platon en particulier ont parlé de certaines vérités qui ne sont pas étrangères au Christ, mais qui ne sont pas pleinement du Christ, Apol., il, 13, col. 465, il expliqua la présence de ces vérités partielles par la diffusion du Aôyo ; iitEpixattxô ; dans le monde. Le genre humain, Apol., I, 32, 46 ; ii, 8, 10, 13, col. 380, 397, 457, 460, 465, participe d’unecertaine manière au Adyo ;, non au A<Syo ; complet, mais au AcSyo ; en germe, au airépua to0 Adyou ; chaque homme possède une partie de ce Av/o ; 07tep|Aomx6 ;  ; il le voit d’après ses aptitudes personnelles et, en affirmant ce qu’il voit, il proclame une vérité qui appartient au Adyoç, qui est chrétienne ; mais ce n’est qu’une vérité ; partielle, aperçue dans une pénombre plutôt qu’en pleine lumière, parce que le Logos jusqu'à son incarnation ne s’est communiqué qu'à l'état de germe. De sorte que la philosophie, loin d'être en opposition avec lechristianisine, y conduit ; elle est un christianisme anticipé, contemporain du genre humain, à l'étal (I ébauche ; une révélation partielle de I lieu plus ou moins altérée par les idées et les passions humaines ; et les

philosophes, en dépit de leurs imperfections, sont, dans certaines lignes, des disciples du Verbe ou du Christ, des chrétiens d’avant l’heure. D’autre part, le christianisme étant la révélation complète de Dieu, possédant dans le Aoyoç |Aopep ; o0E ; ç ou Verbe incarné la vérité, non plus fragmentaire, mais totale, est la seule philosophie digne de ce nom, et les chrétiens sont les seuls vrais philosophes. Par là plus d’antinomie ou d’opposition : la philosophie est un acheminement au christianisme et trouve en lui son terme, sa plénitude, sa perfection. C’est la théorie que Clément d’Alexandrie va systématiser dans sa trilogie du npoipeirTixô ;, du llatoayojyri ; et des STpa)[xaT£ 7. « ; elle fera la gloire et aussi le danger du Didascalée.

VI. Les apologistes et l’empire. — C’est au triple point de vue, religieux, judiciaire et politique, que se placèrent les Pères apologistes en face de l’empire. La religion nationale, disait-on, a fait la grandeur de Rome. Prétention illusoire, répondirent-ils ; car, en principe, il est impossible d’attribuer la prospérité de l’empire à une superstition qui prend pour dieux de simples mortels ; en fait, cette prétention est contraire à l’histoire. Rome, en effet, est née dans le crime et n’a prospéré que par le brigandage et le sacrilège. Octavius, 25, P. L., t. iii, col. 3(6, 317. C’est plutôt l’irréligion qui a fait sa grandeur ; car, pour grandir, elle a dû vaincre ; pour vaincre, détruire des villes et des royaumes, des prêtres et des dieux étrangers. Par suite, autant de sacrilèges que de trophées ; autaht de victoires sur les dieux que de triomphes sur les peuples ; autant de simulacres captifs que de dépouilles opimes. Tertullien, Apolog., 25, P. L., t. i, col. 422-431. Rien de plus vrai ; mais ce préjugé n’en devait pas moins persister longtemps.

Sur le terrain judiciaire, l’attitude des apologistes ne fut pas moins nette. Devant les tribunaux, la cause chrétienne était perdue d’avance, victime d’une législation d’exception ; tout chrétien dénoncé ou convaincu était condamné. Ni enquête, ni instruction de la paît du juge ; la torture, seul moyen d’obtenir l’aveu du coupable, était inutile, puisqu’il y avait aveu ; on ne l’en appliquait pas moins pour faire apostasier ; la sentence entraînait toujours une pénalité grave. Les apologistes protestèrent donc contre l’illégalité de la procédure, l’iniquité de la sentence, l’injustice de la loi. Qu’on informe, réclamait saint Justin, qu’on fasse une enquête et qu’on instruise la cause ; mais surtout qu’on n’obéisse pas à d’aveugles préventions, à des entraînements populaires, à une haine irréfléchie ; qu’on procède sans parti pris, avec le calme et la droiture qui conviennent à la justice. Apol., I, 2, col. 329. Qu’on observe les formalités légales, le droit commun, l'égalité devant la justice, disait à son tour Athénagore, Légal., 2, col. 896. Vaines réclamations : on continua à condamner sommairement. Tertullien, traitant à fond la question juridique, protesta contre l’illégalité de la procédure, Apolog.. 2, P. L., t. I, col. 276 ; il constata qu’on ne condamne jamais les chrétiens pour cause d’homicide, d’inceste ou d’autre crime ordinaire, mais uniquement parce qu’ils sont chrétiens. Apolog., 3, P. L., I. i, col. 289. Déjà Athénagore avait dit que rien n’est plus odieux que de s’en prendre à un nom, Légat., 1, 2, col. 892, 893, el Tertullien répète que ce nom ne constitue pas un délit. Apolog., 2, P. L., t. I, col. 276. Il s’en prend en outre à l’iniquité de la sentence, à la violation de toutes les formes et de l’essence même du jugement, ibid. ; il s’en prend enfin à l’injustice de la loi ; loi tyrannique, puisqu’elle a Néron pour auteur ; loi qui n’a été appliquée que parmi autre Néron, Domitien, ou par des princes impies, infâmes et iniques, el nullement par ceux qui ont respecte le droit divin et humain, Apolog., 5. /'. L., t. I, col. 293, 295 ; donc loi à abr comme on en abroge tant d’autres sans tenir compte du