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AUGUSTIN (SAINT)

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distinction si nette qu’il avait établie avec Platon entre le sensible et l’intelligible. Son ancienne opinion a prévalu dans l’Ecole et dans l’Église.

IX. CONCLUSION : CARACTÉRISTIQUE DU GÉNIE DE saint Augustin. —

Les critiques ont souvent recherché la qualité dominante d’Augustin, celle qui caractérise mieux son œuvre et explique son action fascinatrice sur la postérité. Et ils ont envisagé tour à tour les divers aspects de ce grand génie. Les uns ont été frappés surtout de la profondeur et de l’originalité de ses conceptions : Augustin est pour eux le grand semeur d’idées dont vivront les esprits de l’avenir. D’autres, avec Jungmann et Stôckl, ont loué en lui la merveilleuse harmonie de toutes les qualités supérieures de l’esprit, ou encore l’universalité et l’étendue de sa doctrine : « Dans le grand docteur africain, dit le R. P. Zahm, Bible, science et foi, p. 56, il semble que nous trouvions unis et combinés la dialectique puissante et pénétrante de Platon, les profondes conceptions scientifiques d’Aristote, le savoir et la souplesse d’esprit d’Origène, la grâce et l’éloquence de Basile et de Chrysostome. Soit qu’on le considère comme philosophe, comme théologien ou comme exégète… il nous apparaît toujours admirable… et le maître incontesté de tous les siècles. » Ph. Schaff, Saint Augustin, etc., 1886, n. 97, admire surtout « l’union si rare du talent spéculatif des Grecs, avec, l’esprit éminemment pratique de l’Église latine : union qui ne s’est réalisée à un degré si éminent qu’en lui seul » . Dans tous ces.jugements il y a une large part de vérité : mais le caractère dominant du génie d’Augustin et le vrai secret de son action, c’est, croyons-nous, dans son cœur qu’il faut le chercher, dans son coeur pénétrant et animant de la plus chaude passion les plus hautes spéculations d’un profond esprit. Au fond, c’est l’appréciation générale et traditionnelle que nous exprimons, puisqu’on a toujours attribué à Augustin pour emblème un co’ur, comme à Thomas d’Aquin un soleil. Md’Bougaud, Vie de sainte Monique, 1879, p. 197, traduisait ainsi ce symbole : « Jamais homme n’a uni dans une même âme une si inflexible rigueur de logique avec une telle tendresse œur. » C’est aussi le jugement de llarnack, de Bôhringer, de Nourrisson, de Storz, etc. Une courte analyse de cet amour d’Augustin pour la vérité nous donnera la clef de son œuvre et de son inlluence.

1’Caractères de la passion d’A ugustin pour la ve’rité.

— I. L’admirable fusion d’un profond intellectualisme avec un mysticisme éclairé, tel est donc le trait caractéristique d’Augustin. La vérité n’est point pour lui seulement un spectacle à contempler : c’est un bien qu’il faut s’approprier : il faut l’aimer et en vivre. récitas, veritas ! quant intime etiam tum medulla animi mei rai, mu i, i, i. Confess., 1. 111, c. vi, n. 10, P. L., t. xxxii, col. 689. Le génie d’Augustin, c’est ce don merveilleux d’embrasser la vérité par toutes les fibres de son âme, non par le cœur seulement, le coeur ne pense pas, non par l’esprit isolé’, il ne saisit que la véibstraite el Cle morte ; Augustin cherche la ve’ritévivante : même quand il combat certaines idées oniciennes, il est de la famille de Platon, non d’Aristote. Par là sans doute il est de tons les temps parce qu’il communique avec toutes les âmes, mais il irtoui moderne : car chez lui la doctrine n’est pas la froide lumière de l’École ; elle est vivante et pénétrée de sentiment personnel. La religion n’est pas une simple théorie, le christianisme une série de dogmes : il nssi une vie, comme on dit aujourd’hui, ou plus exactement, une source de vie.

Qu’on ne trompe pas cependant : Augustin n’est point un sentimental, impur mystique, et le cœur seul n’explique point sa puissance. Si che2 lui l’intelle lisme sec et froid des métaphysiciens fait place à une visi, , n passionnée de la vérité, cette vision est le fond de tout, il n’a jamais connu ce mysticisme vaporeux de

notre temps qui se laisse bercer par un sentimentalisme vague et sans objet. Pour lui, l’émotion est profonde, vive, saisissante, précisément parce qu’elle naît d’un dogmatisme ferme, sûr, précis, qui veut savoir ce qu’il aime et pourquoi il aime. Le christianisme est une vie, mais une vie dans la vérité éternelle et immuable. Et si nul Père n’a mis, autant qu’Augustin, son cœur dans ses écrits, nul aussi n’a fixé sur la vérité le regard d’un esprit plus lucide et plus profond.

2. La vérité qui passionne Augustin, c’est Dieu lui-même. —

Il n’est point épris en effet de cette curiosité qui aime seulement la connaissance de la vérité, c’est la vérité elle-même qu’il désire posséder pour en vivre ; non pas telle ou telle vérité, mais la vérité unique et totale dans laquelle se résolvent tous les problèmes sur le fond des choses : il cherche l’Être, le Vrai, le Bien qui embrasse et explique tout, c’est-à-dire Dieu. Il aspire sans cesse ad Deum, id est veritalem… quæ intellectu et interiore mente capitur, qusesemper manet. De dir. quæst. lxxxiii, q. ix. P. L., t. xl, col. 14. Verus philosophus est amator Dei, s’écrie-t-il. De civil., I. VIII, c., P. L., t. xli, col. 225. Aussi toute sa doctrine est-elle essentiellement théologique. Voir col. 2322. Mais le Dieu d’Augustin n’est point le Dieu froid et abstrait, objet des patientes analyses de la scolaslique : c’est le Dieu vivant qu’il cherche, et il aime chacun de ses attributs, même les plus abstraits, comme un aspect de la vie divine dans ses rapports avec notre âme. Il se passionne pour l’éternité : car l’éternité de Dieu, c’est pour lui une pensée divine et un amour divin penchés avant tous les siècles sur le temps, ce berceau qui portera nos vies. Pour Augustin, Dieu lui-même est la patrie de l’âme et ce mot explique le dialogue célèbre : « Que désires-tu connaître ? — Dieu et l’âme. — Bien de plus ? — Non, absolument rien. » Solil., 1. I, c. ii, n. 7, P. L., t. xxxii, col. 872.

Les autres Pères ont exalté la majesté et la puissance du créateur. Augustin, le premier, est séduit par la beauté de £leu ; rapiebar ad le décore luo. Confess., I. VII, c. xvii, n. 2IÎ, P. L., t. xxxii, col. 774. Nul homme n’a jamais écrit sur ce sujet des pages aussi enflammées. Cette beauté toujours ancienneet toujours nouvelle inspire les ravissantes élévations des Soliloques, et les cris passionnés des Confessions. « -le vis alors en esprit, 6 mon Dieu, vos invisibles beautés dans les choses visibles que vous avez tirées du néant. » Et après la contemplation, son âme en garde pour la vie un souvenir embrasé d’amour : redditas solitis non meum ferebam nisi amantem tnemoriam, etc. Confess., ibid. Aux autres esprits le spectacle du monde révèle {’existence de Mien : mais lui, dans ce sublime appel à toutes les créatures, c’est sur sa beauté qu’il les interroge, et leur réponse estime invitation à l’aimer : SP.d et cselum el terra et oninia quæ in eis sunt, erre undique mihi dicunt ut teamem. Confess., I. X, c. xv, n. 8, ibid., eol. 782. « Et pour les interroger, ajoute-t-il, je n’ai eu qu’à les regarder : leur beauté a été leur réponse. » Ibid., col. 783.’1. Le caractère de celle passion d’A UÇUStin u’est point

h, violence, mois une tendresse conwiunicative, — Ter tullien, lui aussi, avec sa chaude nature africaine, se passionne pour la vérité. Mais, outre que son horizon est autrement borné, chez lui la passion est tyrannique,

elle veut imposer le joug de force, et. manquant de

mesure, elle s’égare misérablement, (’lieI. Augustin, i’si aussi ardente, mais d’une ardeur toute pénétrée île tendresse | r Dieu et les âmes : son exquise

délicatesse ressent tour à tour et fait (prouver les émotions les plus intimes : de là l’irrésistible effet des Confessions.

Un penseur protestant, Feuerlein, a mis en saillie avec exagération, il est vrai, et en laissant dans l’ombre la merveilleuse puissance de son intelligence) cette sen-