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APOLOGISTES (LES PÈRES)


absence de mesure injustes. Il ne lui reconnaît aucun mérite ; il l’accuse de s'être mis à la remorque des démons, ces voleurs de la divinité ; d’avoir emprunté aux barbares tout ce qu’il a de bon, non sans l’avoir gâté ; d’avoir abusé de tout, de l'éloquence, de la poésie et de la philosophie. Par suite il le déclare irrecevable dans ses attaques contre le christianisme, dont les Livres sacrés sont plus anciens que toutes les productions littéraires de la Grèce. P. G., t. vi, col. 803 sq.

Cetle ironie mordante, sarcastique, impitoyable, se retrouve sous la plume d’Hermias qui, dans son AcaiT-jp^ô ; Twv k' !  ; io çiXoaôçaiv, P. G., t. VI, col. 1176 sq., cherche à justifier ce texte de saint Paul : La sagesse de ce monde est une folie devant Dieu. I Cor., iii, 19. Il souligne en conséquence les contradictions des philosophes, l’inanité de leurs efforts, leur stérilité. Son apologie n’est qu’un persiflage et semble une gageure beaucoup plus faite pour aliéner les esprits que pour les rapprocher.

En 163, Justin, grâce à la dénonciation du cynique Crescens ; vers 165, Thraséas d’Euménie et Sagaris de Laodicée moururent martyrs. Les apologies, on le voit, étaient loin de triompher. D’autre part, sous le règne de Marc-Aurèle, toutes sortes de calamités afiligèrent l’empire. Certains illuminés chrétiens n’y virent qu’une juste punition de Dieu et le prodrome de la fin du monde : d’où, un redoublement d’idées eschatologiques et de rêves millénaires. Les païens, au contraire, en conçurent une plus vive irritation et rendirent les chrétiens responsables de tous ces maux. Plus que jamais les apologistes durent réfuter ces calomnieuses accusations et justifier la cause chrétienne.

Miltiades, l’avocat des Églises, comme l’appelle Tertullien, Adv. valent., 5, P. L., t. ii, col. 518, fut alors l’un des plus actifs défenseurs de la foi soit contre les grecs, soit contre les juifs, soit auprès du pouvoir. Malheureusement il ne reste rien de son IIpô ; "EXXr, voc ;, de son IIpô ; 'Iou8afov ;, de son apologie Ilpbç to - jç "Apyovraç. Eusèbe, H. E., v, 17, P. G., t. xx, col. 476 ; Jérôme, De vir. ill., 39, P. L., t. xxiii, col. 687 ; Otto, Corpus apolog., t. ix, p. 364 sq.

Non moins actif, Apollinaire d’Hiérapolis composa contre les grecs un IIpô ; "EXXr|va ;, et probablement contre les juifs son flep à).r, 0sia{. Après 172, il adressa une apologie à Marc-Aurèle, npb ; 'A vram’vov ûîtspTriirrewi ;. Eusèbe, H. E., iv, 27, P. G., t. xx, col. 397 ; Jérôme, De vir. ill., 26, P. L., t. xxiii, col. 678 ; Otto, Corpus apolog., t. ix, p. 486 sq. Tout est perdu. Voir col. 1504.

Il nous reste, du moins, la Ilpeirëeca itepi Xpc<7Tiavâ>v du philosophe athénien Athénagore, adressée en 177 à Marc-Aurèle et à son fils Commode. Justice y est faite, une fois de plus, des fausses imputations dont on accable les chrétiens : ni athéisme, ni crime de Thyeste ou d'Œdipe ; il faut se garder des délateurs, sycophantes à esprit étroit et sectaire, de mœurs corrompues ; quant aux chrétiens, ils professent pour les représentants du pouvoir les sentiments les plus respectueux ; ils prient en particulier pour la transmission de père en fils delà couronne impériale et ne demandent pour prix de leur Obéissance que la tranquillité. L’hérédité du pouvoir, voilà un argument nouveau et d’ordre politique qui marque, chez les apologistes, une évolution caractéristique (Luile sens d’un rapprochement possible vers l’empire. Voir Athénagore.

Cette évolution semble complète avec Méliton de Sardes ; car, à en juger par les fragments que nous a conservi s l usèbe de son llpoç 'Avtwvévov (JtgXtëtov, MélitOD, s’il n’a pas clairement vu la possibilité d’un ird entre l’empire et le christianisme, s’il n’a pas eu pleine conscience de ce qu’une telle entente pouvait avoir de fécond pour l’avenir du monde, l’a du moins entrevue : ses considérations sur la marche parallèle et providentielle de l’empire et « le l'Église, Eusèbe, II. E., '. P. G., t. xx, col. 392-396 ; Houlh, licliq. sacr.,

t. I, p. 113 sq. ; Otto, Corpus apolog., t. IX, p. 410 sq., " sont d’un politique avisé et forment le prélude de la grande idée réalisée par Constantin.

Théophile d’Antioche, par ses trois livres à Autolycus, rédigés après la mort de Marc-Aurèle, à la fin de 180 et au commencement de 181, nous fait connaître quelquesunes des objections qui retenaient loin du christianisme un païen lettré, imbu de la philosophie de son temps et victime de préjugés : les calomnies populaires, l’impossibilité de croire à un Dieu invisible et d’admettre la résurrection, la nouveauté du christianisme ; objections déjà réfutées. Mais Théophile, en y revenant, insiste surtout sur l’importance capitale de l’Ecriture, où se trouvent l’histoire du monde et de l’humanité et le vrai code de la vie morale. Converti par la lecture des Livres saints, il en conseille l'étude à son ami et l’assure qu’il y trouvera la vérité. Ad Autol., iii, 30, col. 1168.

Tous ces apologistes de langue grecque nous ont fait connaître les accusations portées contre le christianisme pendant le IIe siècle et les arguments qu’ils leur opposèrent. Il était réservé aux apologistes de langue latine de recueillir toutes ces réponses éparses, de les condenser et de leur donner une vigueur nouvelle, dans deux écrits, qui sont deux chefs-d'œuvre, YOclavius de Minucius Félix, à Borne, VApologelicus de Tertullien, à Carthage.

L’Octavius fera toujours le charme des lettrés par ses qualités littéraires. Bien que rappelant la manière de Platon et de Cicéron, il est moins un dialogue qu’un débat dans le genre de ceux du barreau. C’est le païen Cécilius, écho des jurisconsultes et des esprits cultivés de Borne, qui prononce un réquisitoire contre le christianisme. Il plaide la cause du scepticisme. Du moment que tout est incertain ou douteux, l’homme ne saurait s'élever au-dessus des choses humaines et s’occuper avec quelque chance de certitude des questions divines ; dès lors des illettrés, tels que les chrétiens, sont mal venus à trancher en docteurs des problèmes, comme l’existence de Dieu, la providence ou la résurrection, vainement abordés et laissés insolubles par les plus grands représentants de la philosophie. Mais comme, d’autre part, au point de vue religieux, politique et social, il faut une religion, le parti le plus sage est de s’en tenir à la foi des ancêtres, comme à la plus sûre garantie de la vérité, et de suivre la religion de son pays ; d’autant plus que Borne, en particulier, doit sa grandeur et la maîtrise du monde à son culte envers les dieux ; arrière donc les chrétiens, gens de basse extraction, sans la moindre culture, dogmatiseurs impertinents, chargés de tous les crimes ! La suprême sagesse consiste à ne point s’inquiéter de ce qui nous dépasse, à confesser son ignorance et à s’en tenir à ce qui est. Comme on le voit, Cécilius ne répudie aucune des accusations portées contre le christianisme ; au nom du scepticisme il déclare la vérité inaccessible ; mais, se plaçant à un point de vue exclusivement romain, il fait de la religion nationale la source de la grandeur de Borne. Le débat s’est élargi en même temps que précisé. Aussi Octavius, en présentant la défense du christianisme, ne se contente-t-il pas de montrer que l’homme a la raison pour chercher et atteindre la vérité, il s’attache surtout à détruire la double thèse de la fidélité à la religion nationale et de la grandeur de Rome due a son sentiment religieux. Puis il décharge les clin liens de tout ce que l’ironie dédaigneuse et injuste « le Cécilius leur reproche ; car ils sont de beaucoup supérieurs aux païens, sages par le enMir et non par l’habit, ne disant pas. mais faisant, de grandes choses et possédant avec joie la réalité de ce que les philosophes ont inutilement cherché. Donc cohibeatur super slilio, impietas expietur, vera religio sewetur. Octavius, 38, P.L., t. iii, col. 357.

Tertullien, dans son Apologclicus, œuvre magistrale