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AUGUSTIN (SAINT)

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tion par Augustin de ces deux vérités : L’homme est libre ; il ne peut rien sans la grâce. Ces deux affirmations sont précieuses, sans doute, mais elles créent le mystère, ne l’expliquent pas. La véritable clef est donc ailleurs, dans l’explication augustinienne du gouvernement divin des volontés, théorie si originale, si prolonde et pourtant absolument inconnue des critiques protestants les plus perspicaces, Harnack, Loofs, etc.

Il y a à la base du système augustinien. non pas deux, mais trois principes londamentaux dont nous devons déterminer le sens précis : 1. Dieu est le maître absolu par sa grâce de toutes les déterminations de la volonté ; 2. l’homme reste libre sous l’action de la grâce, comme en son absence ; 3. la conciliation de ces deux vérités repose sur le mode du gouvernement divin.

Premier principe : La souveraineté absolue de Dieu sur la volonté est opposée par Augustin au principe pélagien de V émancipation de la liberté.

A. Affirmation de cette souveraineté. — Bien avant Pelage, la théologie d’Augustin tetulaità établir l’influence toute-puissante de Dieu dans l’ordre de la vertu comme dans l’ordre de la vérité. Dieu, cause première, est auteur de tout bien, de toute perlection morale, de tout salut. Nul homme n’est bon, vertueux sans le don de Dieu, qui s’appelle grâce parce qu’il est entièrement gratuit. Nul n’est sauvé sans le don spécial de la persévérance finale, préparée par une prédestination spécialement affectueuse de Dieu. De corrept. et grat., c. xiv, n. 45, P. L., t. xi. iv, col. 943 : Sine dubio liabens (Deus) humanorum cordium Qi’O placeret inclinandorum omnipotentissimam potestatem. La liberté n’arrêtera point les décrets divins : Sic enim relie scu nulle in volentis aut nolentis est potestate, ut divinam voluntateni non impediat, nec superet potestatem. Ibid., n. 43, col. 242. Et la raison en est claire : Magis habet in potestate voluntates hominumquam ipsi suas. Ibid., ii. 15, col. 944. Cf. De preedest. sanct., c. viii, n. 13, P. L., t. xliv, col. 970-971 ; De grat. et lib. arbitr., c. XX, n. 41, ibid., col. 906. — En particulier nul endurci, qu’il ne puisse convertir, quand et comme il voudra. Cf. Encliiridiun, c. xcv, ciii, surtout c. xcviii, P. L., t. xl, col. 277 : Quis porro tam impie desipiat ut dicat Deum malas hominum voluntates quas voluerit, quando voluerit et ubi voluerit, in bonum non posse convertere ? Cf. De div. q uses tion. ad Simplic, !. I, n. 14, P. L., t. xl, col. 119. — De même nulle volonté, si élevée en sainteté soit-clle, qui ne tombe dans les pires excès, si Dieu ne la protège. Saint Augustin l’affirme des anges eux-mêmes, De cic. Dei, I. XII, c. ix, P. L.. t. xi.1, col. 356, et en général de toute créature. Cont. Ma.ciminum, 1. II, c. XII, n. 2, P. L., t. xlii, col. 768, et avec mie énergie particulière, Scrm., xcix, n. 6, P. L., t. xxxviii, col. 598 : Nullum est enim peccatum quod fecit homo, quod non possit facere aller homo, si desil rector a quo faclus est homo.

B. Sur l’exercice de cette souveraineté, Augustin a formulé diverses lois :

La l re est que tout acte bon et salutaire sans exception est le fruit d’une grâce, d’un don de Dieu ; sans ce <lon de Dieu, nul ne mérite pour le ciel. Dans la lettre ex vii, c. vii, n. 16, /’. L-, t. xxxiii, col. 984, parlant des adultes, il dit : Scimus grattant… majorions ail singulos actus dari. Cl.conc.de Carlhage de 418, can.3-5.

La 2° loi (issue de la 1 rc) est la priorité de la grâce sur la bonne volonté : loin d’être méritée par quelque bon désir, par la foi ou la prière, elle précède et prépare tout, puisque bon désir, foi et prière doivent venir de 1 1 _ r.’ice. De prxdest. sanct., c. xvii, /’. L., t. xlv, col. 978.

3° loi : Non seulement l’impeccantia pélagienne, on

rvation de toute faute même légère, est irréalisable

à la faibbsso humaine sans une grâce spéciale, mais ce

don est lui-même un privilège excessivement rare ac cordé une ou deux fois dans l’histoire de l’humanité. Tous les autres hommes, même les saints, ont eu des fautes légères et ont dû réciter le Dimitte nobis débita nostra. Cf. Epist., clxxvii, ad lnnoc. pap., n. 18, P. L., t. xxxiii, col. 772 ; De pecc. mer. et rem., 1. II, c. x-xvi, P. L., t. xliv, col. 158-167 ; De perf. just., c. viii, /’. L., t. xliv, col. 299 ; Cont. duos epist. Pelag., 1. IV, c. x, n. 27, P. L., t. xliv, col. 629 ; Serm., clxxxi, c. ii-xi, P. L., t. xxxviii, col. 980-983. Cf. Alticozzi, op. cit., t. iv, p. 145. On peut même constater encore ici la marche vers une sévérité plus grande. Jusque vers 415 Augustin tolère l’affirmation qu’il y a des justes sans péché, pourvu qu’on attribue à la grâce de Dieu cette perfection : Isti utcunque tolerandi sunt, dit-il. Epist., clvii, ad Hilarium (a. 414), n. 4, P. L., t. xxxiii, col. 675. Cf. De spiritu et lit t., n. 73 ; De perf. justifiée, c. xxi, n. 44, P. L., t. xliv, col. 316-317. Après 415, par exemple, au concile de Carthage (418), cf. Mansi, t. iii, col. 814, on nie qu’aucun juste, même avec la grâce, vive sans péché.

Mais ce qui domine ces lois c’est l’étendue de cette dépendance, en dehors même de l’ordre surnaturel.

C. Étendue de cette dépendance. — Même dans l’ordre naturel, la dépendance de toute volonté créée est si universelle que nul acte de vertu n’est accompli, sans un don de Dieu. Ma liberté peut tout, disait Pelage. Ta liberté, répond Augustin, n’arrive à rien sans Dieu ; elle dépend de lui en tout, à chaque instant. Ainsi l’ont compris saint Thomas et les scolastiques du moyen âge, et parmi les modernes. Vasquez, In 7 am 1I X, disp. CXC ; Turrianus (Torres), Tract, de gratia, disp. IV, dub. III, ad 12um ; Suarez, De gratia, 1. I, c. XI-XI I, Paris, t. vii, p. 433 (avec une réserve importante sur l’emploi du mot gratia : pour tout acte naturel, Suarez proclame le bienfait de Dieu, il ne veut pas qu’on l’appelle grâce) ; Esparza, De gratia, q. xlv, etc. Mais, pour éviter de graves confusions, qu’on le remarque bien, ces théologiens ne disent pas que pour un seul acte de vertu naturelle, Augustin exige la grâce surnaturelle (erreur de Baius et des jansénistes), ils veulent seulement que tout acte de vertu soit véritablement un don de Dieu : non pas que la volonté ne puisse pas l’accomplir, mais parce que de fait, sans ce bienfait providentiel, elle ne le voudra pas. Bien des malentendus ont surgi de ce que ce principe n’a pas été compris : en particulier la grande théologie du moyen âge, qui l’a adopté et en a fait une hase de son système sur la liberté, n’a pas toujours été justement appréciée. Voir Augustinisme. Mais plusieurs ont été effrayés de ces affirmations si universelles, parce qu’ils n’ont point compris la nature de ce don de Dieu qui laisse la liberté intacte, et qui sera expliquée plus loin.

Et cependant la pensée d’Augustin, pour qui lit les textes sans parti pris, est incontestable.

n) Le fondementsur lequel il appuie la nécessité de la grâce ad singulos actus n’est point le caractère surnaturel de l’acte méritoire, mais le principe universel que Dieu doit être la source unique de tout bien (comme de toute vérité par l’illumination), voir col. 2336, et a fortiori, de tout bien moral, de la vertu. Qu’on médite ce texte important des Rétractations (426-427), 1. I, c. ix, n. (i, /’. /, ., t. xxxii, col. 598 : Quia oninia bona, sicui ilictum est, et moqua, et média, ri minima ex De, , sunt ; sequitur, <</ ex Dca sit etiam bonus usa* libérée volwntatis, qum ricin* est, et in magnis numeratur bonis.

b) Les formules affirmant que toute bonne volonté vient de Dieu, que la liberté sans lui est toujours dans le mal, sont universelles et sans restriction. In Joa., tr. V, n. I, /’. /, ., t. xxxv, col. ili : Nemo habet de su, , niai mendacium atque peccatum. Cf. conc. d’Orange II, can. 22, Denzinger, n. 165 ; Scrm., clvi. n. 152. /’. L., t. xxxvi, col. 866 : Cum dico tibi, siu, ’adjutorio Dei nihil agis, nihil ii, , m dico, nom ad maie agendum habes sine adjutorio Dei liberam voluntatem. Les formuler négatives n.- supportent pas de limitation à l’or-