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1577 APOLOGÉTIQUE (MÉTHODES NOUVELLES AU XIXe SIÈCLE) 1378

harmonie avec certaines aspirations de notre nature et certains désirs de notre cœur, c’est parce qu’il les fit naître lui-même ; 3° enfin, que cet accord ne suffit pas à imposer la recherche et la profession du christianisme comme un devoir strict puisqu’on pourrait le célébrer comme un bienfait sans qu’il s’imposât comme une indispensable obligation.

III. Méthode d’immanence. — C’est la plus discutée et la plus importante des nouvelles méthodes d’apologétique. Inaugurée par M. Maurice Blondel, elle est diversement commentée par un assez grand nombre de théologiens et de philosophes, parmi lesquels il convient de citer le R. P. Laberthonnière, de l’Oratoire, M. l’abbé Denis, directeur des Annales de philosophie chrétienne, M. l’abbé Mano, M. Bazaillas, professeur de philosophie au lycée Condorcet, etc.

M. Blondel a exposé ses idées dans une Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique et sur la méthode de la philosophie dans l’étude du problème religieux, dans les Annales de philosophie chrétienne, janvier à juillet 1896. Il les avait déjà appliquées en sa thèse de doctorat, très remarquable, personnelle et suggestive, intitulée L’action, Paris, 1893.

1° L’auteur se défend de méconnaître les services et l’efficacité relative de l’apologétique doctrinale, scientifique, psychologique ou morale, mais un renouvellement des méthodes est nécessaire, parce qu’aucune des formes anciennes ne résout le problème ou n’atteint les âmes des contemporains.

2° « La méthode d’immanence consiste à mettre en équation, dans la conscience même, ce que nous paraissons penser et vouloir et faire, avec ce que nous faisons, nous pensons et nous voulons en réalité ; de telle sorte que dans les négations factices ou les fins artificiellement voulues, se retrouvent encore les affirmations profondes et les besoins incoercibles qu’elles impliquent. » Lettre, p. 606.

3° Il n’y a ni continuité réelle, ni incompatibilité formelle entre le naturel et le surnaturel ; leur synthèse réelle ne se fait que dans la pratique.

4° « Rien ne peut entrer dans l’homme qui ne sorte de lui et ne corresponde en quelque façon à un besoin d’expansion, et ni comme fait historique, ni comme enseignement traditionnel, ni comme obligation surajoutée du dehors, il n’y a pour lui vérité qui compte, ni précepte admissible sans être de quelque manière autonome et autochtone. » P. 601. Il faut admettre que le don gratuit, libre et facultatif en sa source (le surnaturel), devient pour le destinataire, inévitable, imposé et obligatoire. » P. 602. « Il est indispensable et inaccessible à l’homme. » P. 609. La foi déclare donner gratuitement ce que la raison ne peut que postulerinvinciblement. P. 608.

5° « Sans faire rentrer en rien, dans le déterminisme de l’action humaine, l’ordre surnaturel qui demeure toujours au delà de la capacité, du mérite, des exigences de notre nature et même de toute nature concevable, il est légitime de montrer que le progrès de notre volonté nous contraint à l’aveu de notre insuffisance, nous conduit au besoin senti d’un surcroit, nous donne l’aptitude non à le produire ou à le définir mais à le reconnaître et à le recevoir, nous ouvre, en un mot, comme par une grâce prévenante, ce baptême de désir, qui, supposant déjà une touche secrète de Dieu, demeure partout accessible et nécessaire en dehors même de toute révélation explicite et qui dans la révélation même est comme le sacrement humain immanent à l’opération divine. » P. 610, 611.

6° C’est par l’étude de l’action qui est le fait général, constant et central de notre vie que nous arriverons à concilier l’antinomie du libre et du nécessaire, de l’autonomie el’l' l’héti ronomie, el à constater l’identité de notre vouloir spontané et de notre vouloir réfléchi.

7° Le problème de l’action n’est résolu ni par le phénomène sensible et la science, ni par les états de conscience et la psychologie, ni par l’acte libre et l’autonomie de la volonté, ni par la pensée et la métaphysique, ni par les relations inévitables entre l’homme, la société et l’univers. « L’homme ne réussit pas par ses seules forces à mettre dans son action voulue, tout ce qui est au principe de son activité volontaire. » L’action, p. 321. Il est donc obligé d’accepter l’unique nécessaire. « L’action médiatrice fait la vérité et l’être de tout ce qui est. /> P. 465. Absolument impossible et absolument nécessaire à l’homme, c’est là proprement la notion du surnaturel ; l’action de l’homme passe l’homme, et tout l’effort de sa raison c’est de voir qu’il ne peut, qu’il ne doit pas s’y tenir. Ibid., p. 388.

8° Conclusion : « Il est impossible que l’ordre surnaturel soit sans l’ordre naturel auquel il est nécessaire, et impossible qu’il ne soit pas puisque l’ordre naturel le garantit en l’exigeant. » Ibid., p. 462.

LeR. P. Laberthonnière, à son tour, dans les Annales de philosophie chrétienne, août à octobre 1898, insiste sur les avantages de ce dogmatisme moral, qu’il oppose à l’intellectualisme celui-ci est abstrait, purement statique, sans attache avec la vie réelle, tandis que celui-là est concret, dynamique et montre la croyance, naissant, évoluant dans l’àme et la pénétrant par son action vive et féconde. M. l’abbé Mano va jusqu’à écrire : « Ce dogmatisme moral nous fera seul connaître l’être. » Le problème apologétique, Paris, 1899, p. 42.

Or, 1° quelles que soient les intentions, lesexplications, cette dernière formule est absolument conforme à la doctrine kantienne ; 2° il n’est ni exact ni juste d’affirmer que « la philosophie n’a pas été jusqu’ici exactement délimitée, ni par suite scientifiquement constituée. .., qu’il n’y a point eu encore et à la rigueur des termes de philosophie chrétienne » . Lettre, p. 134, 3° Le surnaturel est-il postulé par l’action humaine ? S’il est question d’un postulat abstrait, je veux dire d’une pure cohérence idéale entre les notions de nature et de surnaturel, la démonstration n’aboutit pas, puisqu’elle prouve seulement que le surnaturel peut être pensé ; s’il s’agit d’un postulat concret, d’une nécessité réelle, du surnaturel exigé par la nature, la démonstration prouve trop, puisque le surnaturel est essentiellement libre et gratuit. Aussi bien M. Blondel désavoue cette interprétation de sa doctrine. En tout cas, sa méthode demeure subjective et nous semble incapable de saisir l’objet réel qu’elle devrait atteindre.

En résumé, 1° les nouvelles méthodes insistent heureusement, mais presque exclusivement, sur les critères internes qui ont leur importance, mais ne peuvent suppléer ni égaler les preuves externes vraiment décisives ; 2° elles ont déterminé, mieux qu’on ne l’avait fait jusqu’à présent, le rôle de la société, de l’autorité, du coeur, de la volonté dans nos croyances religieuses et le secours que ces auxiliaires apportent à l’intelligence dans son adhésion à la vérité révélée, mais elles ont paru oublier que la foi est avant tout assentiment de l’esprit et que les motifs rationnels sont indispensables et prépondérants ; 3° elles ont approfondi la notion de réceptivité et le caractère vital et pratique de la croyance ; elles ont complété le concept scolastique de la « puissance obédientielle » qui est la condition et comme le point d’insertion du surnaturel dans l’àme, mais en faisant dépendre la croyance de la vie, elles ont renverseles termes, car s’il y a une relation nécessaire et une harmonie désirable entre penser juste et bien vivre, ceci dépend de cela ; 4° elles ont mis en lumière la nécessité d’une préparation subjective pour connaître et embrasser la vérité, mais n’ont-elles pas confondu parfois le vrai, objet de l’intelligence, avec le bien, objet

de la volonté ? Aussi, malgré la science, le talent, le lèle

des théologiens, des écrivains et des philosophes qui ont