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AUGUSTIN (SAINT ;

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2. Augustin est-il chrétien à Cassiciacinn ? — Jusqu’ici, nul n’en avait douté : les historiens, se fiant au récit des Confessions, avaient tous cru que la conversion d’Augustin datait de la scène du jardin et que sa retraite à Çassiciacum, réclamée par sa santé, avait aussi pour but de le préparer au baptême. Aujourd’hui, certains critiques découvrent entre les Dialogues philosophiques, composés dans cette solitude, et l’état d’àme décrit dans les Confessions, une opposition radicale : d’après Harnack, Augustin’s Confessionen, p. 15, l’auteur des Confessions aurait projeté sur le solitaire de 386 les sentiments de l’évêque en 400. D’autres, Lool’s, Realencyclopâdie, 3° édit., t. ii, p. 268, et surtout Gourdon, dans sa thèse présentée à la faculté de théologie protestante de Paris, Essai stir la conversion de saint Augustin, Caliors, 1900, p. 45-50, vont bien plus loin : le solitaire de la villa de Milan ne serait pas chrétien de cœur, mais un platonicien : la scène du jardin serait une conversion, non au christianisme, mais à la philosophie. D’après Gourdon, p. 83, la phase vraiment chrélienne ne commencerait qu’en 390.

Wôrter a, d’avance, fait justice de ces affirmations dans son élude, Die Geislesenlwickelung des hl. Augustinus bis zu seiner Taufe, Paderborn, 1892, p. 64. Le d’bat est tranché par les faits les plus certains : a) Augustin a été baptisé à Pâques 387, on l’avoue : qui croira que ce fut là pour lui une cérémonie sans portée el incomprise ? 6) Dans les Confessions, les faits matériels (et non pas seulement l’état d’âme) seraient falsifiés avec une rare impudence : la scène du jardin, l’exemple des solitaires, la lecture de saint Paul, la conversion de Victorinus, les ravissements d’Augustin à la lecture des Psaumes avec Monique, tout cela, inventé après coup ! c) Enfin, c’est en 388 qu’Augustin a composé des apologies comme le De moribus Ecclesise catholicse, etc., et il ne serait pas chrétien ! Consultons d’ailleurs les Dialogues eux-mêmes.

3. Histoire de sa formation chrétienne, d’après les écrits de Çassiciacum. — Sans doute, entre les Confessions et les Dialogues philosophiques, il y a toute la différence que réclament un genre et un but si différents. Les Dialogues sont une œuvre de pure philosophie, de jeunesse, non sans quelque prétention, comme l’avoue ingénument Augustin, Conf., Î.IX, c. iv, n. 7, P.L., t.xxxii, col. 466 : in lillcris jam quidem servientibus tibi, sed adhuc superbise scholam lanquam in pausatione an/ielanlibus. .. Comment do telsouvrages raconteraient-ils les victoires de la gràce ?Ce n’est qu’incidemment qu’ils révèlenl l’état d’esprit du solitaire. Cependant ils on disent / pour nous montrer le converti des Confessions.

a) Voici d’abord la grande loi qui préside à ses recherches philosophiques. Elle est révélée dès 386, par le premier ouvrage composé à Çassiciacum. Dans les concluions du 111 livre Contra academicos, c. xx, n. 53, /’. /.., t. xxxii, col. 657, sont exprimés : d’abord le but de ses recherches, unir la raison à l’autorité ; puis sa foi à l’autorité du Christ : niilii certuni est nusquani us a Christi auctorilate discedere, non enim . et enfin la loi de sa philosophie : il ne cherche chez les platoniciens que des explications en harmonie avec sa foi : apud platonicos me intérim quodsacris nos tris non répugne t, me reperturum confido. Cette confiance excessive avait ses dangers, nous le errons plus loin en exposant la doctrine néoplatonicienne il Augustin. Mais il est (’vident que dans ces dialogues ce n’est pas un platonicien qui parle, niais un chrétien, ou, plus exactement, l’un et l’autre. Pour Augustin, il n’y a pas deux vérités ; il n’j en a qu’une, qu’il a trouvée dans l’Evangile, dont il cherche la raison dans la philo "plu, ’. L’illusion de Gourdon et de Loofs a été ib - ti an porter dans l’esprit d’Augustin nos distinctions modernes. Mais, pour cela, ils ont dû, surtout Gourdon, refuser de lire les ti

DICT. I)L TIIÉOL. CATIIOL.

b) La foi d’Augustin se manifeste dans les Dialogues sous diverses tonnes : a. Un récit de sa conversion. Dans le livre II Cont. acad., c. ii, n. 5, P. L., t. xxxii, col. 921-922, il raconte la passion irrésistible qui l’entraînait vers la philosophie, quand la religion de son enlance l’a ressaisi ; respexi tantum, confiteor, quasi de ilinere in illam religionem… verum ipsa me ad se nescientem rapiebat. Troublé et hésitant il a pris l’apôtre Paul, il l’a lii, et comment ? Perlegi lotum intenlissime atque cautissime. Et il nous révèle l’argument qui l’a convaincu, c’est le tableau de la vie et des. conquêtes des apôtres, neque enim isti tanta poluissent, etc. fr.Une belle profession de foi à la Trinité et à l’Incarnation au livre II De ordine, c. v, n. 16, ibid., col. 1002 ; c. Un entretien caractéristique sur la divinité du Christ. Piien ne prouve mieux les rapports intimes qui unissaient chez Augustin et ses amis la sagesse philosophique et la foi chrétienne, que cette scène délicieuse, De ordine, 1. I, c. x, n. 29, P. L., t. xxxii, col. 991, dans laquelle, à propos d’une définition de V ordre providentiel, une discussion s’engage, non certes sur la foi au Christ que défendent ces jeunes gens chrétiens eux aussi, Bellam rem facis, inquit Licenlius. Negabimus ergo Dei Filiv.ni Deum esse ? mais sur la manière d’entendre sa filiation divine et c’est Augustin qui s’écrie : Cohibe te potius, inquam, non enim Filius improprie Deus dicitur, il est Dieu dans toute la rigueur du terme. Et aussitôt le jeune Trygetius troublé supplie qu’on efface du compte rendu la phrase malheureuse ! d. Aussi Monique est-elle admise à ces conversations philosophiques ; elle n’est point étrangère dans ces sacrosancta philosophise penetralia ; la philosophie que cherche Augustin n’est point celle que condamnent les Écritures, c’est celle que Monique aime, qu’elle aime plus que son fils même, et noverim quantum me diligas. De ordine, 1. I, c. xi, n. 32, col. 994.

c) Les transformations merveilleuses que la foi opère dans son âme apparaissent à leur tour dans les Dialogues, a. C’est la prière qu’il adresse chaque jour à Dieu, De ord., 1. I, c. viii, n. 25, col. 989, surrexi, reddilisque Deo quotidianis volts, et quelle prière ! Nous en avons un écho dans les Soliloques (écrits à Çassiciacum au débutde387) qui s’ouvrent parun admirable cri d’un cœur tout pénétré des paroles évangéliques : Deus qui facis ut pulsantibus aperiatus (Mat th., vii, 8). Deus qui nobis das panem vilse (Joa., vi, 35), Deus per quem sitimus, pntum, quo hauslo numquam siliamus (Joa., iv, 13)… Et que demande-t-il ? Auge in me fidem, auge spem ; auge charilatem… L. II, c. i, n. 3, P. L., t. XXXII, col. 871. Et ce serait là la prière d’un platonicien qui ne serait pas chrétien ! b. Le repentir d’Augustin éclate plus rarement ici que dans les Confessions, mais les accents n’en sont pas moins pénétrants : Satis sinl milti vaincra mca, quse ut sancntur, pene quotidianis flelibus Deum rogans… De ord., 1. I, n. 29, ibid., col. 991. El dans sa prière des Soliloques, i, n. 5, col. 872, il déplore ses égarements intellectuels : Rccipc, oro, fugilirum luuni, Domine… jamjam salis… inimicis tuis… servierim, satis fuerini fallaciaritni ludibrium. Accipe me ab istis fugientem famulum tuum… M. Boissier, La /in du paganisme, t. I, p. 376, constatait que « le pénitent l’avait définitivement emporté, quoique le philosophe vécût encore » , et M. Gourdon, op. cit., p. 19, ose nier qu’à cette époque le pénitent eût apparu ! c. La victoire morale couronne tout : victoire sur l’orgueil intellectuel surexcité auparavant par les lectures platoniciennes, Conf., I. VII, c. xx, n. 26, col. 746 ; maintenant, le grand obstacle à la sagesse, vehementissinie formidandus, cautissimeque vitandus, c’est l’or| superbum studium inanisrimo <jl<>< ite, De beata vita, i, n. 2, /’. /.., t. xxxii, col. 859 ; son ignorance l’épouvante. De uni., I. I, c. v. n. 13 ; sa nu ère murale lui fait horreur, indigniorem eue me qui tant citotaner. Ibid.

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