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APOLOGÉTIQUE (MÉTHODES NOUVELLES AU XIXe SIÈCLE)

VIII. APOLOGÉTIQUE. Méthodes nouvelles au XIXe siècle. — A la fin du xixe siècle, qui fut le siècle de la science, des hommes de pensée et d’action, d’abord éblouis par le nombre et l’importance de ses découvertes, trompés ensuite dans les espérances qu’elle avait fait naître, obligés de reconnaître qu’elle est impuissante à résoudre les problèmes de l’origine et de la destinée, à constituer une morale, à introduire dans la vie sociale les éléments d’ordre, de prospérité, de progrès qu’elle réclame, enfin à apaiser les inquiétudes de l’âme, démêlèrent au plus profond de notre être le « besoin de croire » et, pour le satisfaire, revinrent à la religion qu’ils avaient méconnue et délaissée. Mais pour justifier leur démarche, ils durent examiner les raisons qui motivent la croyance, éprouver les bases sur lesquelles le christianisme repose. Malheureusement imbus des préjugés dont le positivisme, l’idéalisme et le criticisme ont obstrué et déformé l’intelligence de nos contemporains, ils dénièrent en partie à l’apologétique traditionnelle son efficacité pratique ou sa valeur, et proposèrent, pour remplir son office auprès des esprits qu’elle ne pouvait convaincre ou atteindre, des méthodes nouvelles. Des philosophes chrétiens, comprenant la difficulté de convaincre de la vérité de la religion, leurs contemporains, remplis contre elle de préjugés, frayèrent des chemins nouveaux vers le christianisme. Nous devons exposer et apprécier brièvement ces méthodes nouvelles. Nous les réduirons à trois : 1° méthode d’autorité ; 2° méthode psychologique et morale ; 3° méthode d’immanence.

I. Méthode d’autoriti :. — La méthode d’autorité est décrite spécialement dans l’ouvrage déjà mentionné de M. Balfour, The foundations of belief, Londres, 1899, traduit par G. Art, Les bases de la croyance, Paris, 1899, avec une importante préface de M. F. Brunetière. Cet éminent écrivain reprit, à son compte, plusieurs des idées favorites de l’homme d’État anglais et les développa éloquemment et avec force, en divers articles et conférences dont plusieurs furent réunis sous le titre : Discours de combat, Paris, 1900. Nous avons tout lieu de penser que dans l’ouvrage en préparation, Sur les chemins de la croyance, plusieurs des affirmations du critique seront modifiées ou expliquées de manière à se dégager de leur alliance compromettante avec les théories du fidéisme.

1. Système de M. Balfour. — La série des idées de M. Balfour peut se résumer ainsi :

l u Le naturalisme — ce mot désigne le positivisme de Comte et l’évolulionisme de Spencer — ne peut rendre compte des sentiments moraux, des jugements esthétiques, des conceptions rationnelles par lesquels nous exprimons nos aspirations naturelles et nécessaires vers le bien, le beau et le vrai.

2° L’idéalisme n’explique ni la naissance des idées en nous, ni leur correspondance avec les choses, ni la réalité du monde extérieur.

3° Le rationalisme ne peut édifier un système satisfaisant de métaphysique, ni une théorie satisfaisante de la science. La finalité, l’immortalité, la liberté ne sont certaines que grâce à la foi « sur laquelle reposent, en dernière analyse, les maximes de la vie quotidienne, i bien que les plus sublimes croyances et les découvertes les plus étendues » . Op. cit., p. 164.

i L’orthodoxie rationaliste doit céder aux attaques de la critique et du sentiment. « Après avoir réfléchi nu caractère îles livres religieux et aux organisations religieuses qui ont contribué à la formation du christianisme ; après avoir considéré— la diversité’des événements, des auteurs, du contexte, du développement intellectuel qui caractérise les premiers, l’histoire agitée et les dissensions inévitables qui caractérisent les seconde., lorsqu’en outre on songera au nombre effrayant de problèmes linguistiques, critiques, métaphysiques et

historiques qui doivent être résolus, du moins d’une façon provisoire, avant que livres et organisations puissent prétendre par voie de preuve rationnelle à la position de guides infaillibles ; osera-t-on espérer trouver là les bases logiques d’un système de croyances religieuses, quelque imposant d’ailleurs qu’ait été le rôle de ces éléments dans la production, la protection et la direction des croyances. » Op. cit., p. 180.

5° Puisque la raison « se trouve être une force propre surtout à diviser et à désagréger » , il faut lui substituer « la force silencieuse, continue, insensible de l’autorité qui façonne nos sentiments, nos aspirations et ce qui nous touche de plus près, nos croyances » . P. 183. « L’autorité… est toujours en contraste avec la raison et représente ce groupe de causes non rationnelles, morales, sociales et éducationnelles qui arrive à ses fins par des opérations psychiques autres que le raisonnement, o P. 175.

6° Nous pourrons constituer, à l’aide des données que l’autorité nous fournit, une philosophie, une « unification provisoire » qui nous permet d’admettre l’existence de Dieu, son action spéciale sur le monde, l’incarnation et la rédemption, malgré l’élasticité, la mobilité des formules dont le caractère est nécessairement approximatif et incomplet.

Quelques remarques suffiront pour apprécier la valeur de cette théorie : 1° elle est une efficace réfutation du naturalisme et de l’idéalisme, bien que les arguments opposés à ces systèmes soient mêlés à des sophismes ; 2° elle démontre l’impossibilité d’une croyance religieuse sans une règle infaillible de foi et l’inconsistance des doctrines protestantes qui prétendent se passer de cette règle ; 3° en séparant l’autorité de la raison et en opposant l’une à l’autre, elle enlève à la croyance sa base nécessaire et essentielle. Car c’est la raison seule qui nous permet de distinguer entre les « causes morales, sociales et éducationnelles » , celles qui sont fondées, légitimes et objectives, en un mot : vraies.

2. Vues de M. Brunetière. — M. F. Brunetière n’a point donné à ses convictions une forme systématique ; voici comment elles me paraissent s’ordonner entre elles : 1° L’homme est distinct de l’animal et supérieur à lui parce qu’il est un être moral et social ; il n’est pas naturellement bon, et l’éducation doit combattre en lui la nature.

2° La morale ne peut se concevoir sans obligation ni sanction ; elle puise son origine et sa certitude dans l’absolu.

3° Elle ne peut être fondée sur la science, l’art ou la philosophie ; car la science n’atteint pas l’essence des êtres ; l’art est une imitation et une apologie de la nature indifférente ou opposée au devoir et à la vertu ; la philosophie aboutit à la relativité de la connaissance ; l’intelligence et la raison, nécessaires à tout, ne suffisent à rien. « La raison a si peu de rapports avec la vie, que sitôt qu’elle entreprend de la régler elle la trouble… Ses inspirations ne servent qu’à nous déshumaniser. » Introd. aux Bases de la croyance, p. 25 et 30. « Une société— vraiment conforme à la raison serait inhabitable. » lbid., -o. 20.

4° La certitude ne peut être fondée que sur la croyance ou sur un acte de foi. Nous ne croyons pas sans raison de croire, mais « il ne me paraît pas que cette raison ou ces raisons soient de l’ordre intellectuel. On croit parce qu’on veut croire, pour des raisons de l’ordrp moral, parce qu’on sont le besoin d’une régie, et que ni la nature ni l’homme n’en sauraient trouver une en eux » . La science et la religion, Taris, 1895, p. 63.

5° Le besoin de croire, inhérent à la nature et à la constitution de l’esprit humain, est une « catégorie… qui conditionne l’action, la science et la morale » . Le besoin de croire, dans Discours de combat, p. 339. Il est fondé’sur le sentiment et la volonté ; il dépend en partie de l’autorité et de la tradition.