Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.2.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2269
2270
AUGUSTIN (SAINT)

2o La crise morale (369). — Le second livre des Confessions déplore cette première victoire des passions. Augustin, livré à lui-même, s’abandonna aux plaisirs avec toute la fougue d’une nature ardente. Au début de cette crise, il pria, mais sans désir sincère d’être exaucé : Da mihi castilatem, sed noli modo. Conf., l. VIII, c. vii, n. 17, ibid., col. 757. Quand, vers la fin de 370, il arriva à Carthage, tout l’entraîna : les séductions de la grande ville encore à demi païenne, les mœurs licencieuses des autres étudiants, la fréquentation des théâtres, l’enivrement de ses succès littéraires : Tumebam typho, Conf., l. III, c.iii, et un désir orgueilleux d’être le premier, même dans le mal : pudebat non esse impudentem. Bientôt il dut avouer à Monique une liaison coupable avec celle qui lui donna un fils (372), « le fils de son péché, » et dont il ne se séparera qu’à Milan, après quinze ans de servitude.

Dans l’appréciation de cette crise, deux excès sont à éviter. Les uns, trompés peut-être par l’accent de douleur des Confessions l’ont exagérée avec Mommsen ; Loofs, Realencyclopadie, 3e édit., t. ii, p. 268, le lui reproche avec raison ; mais, à son tour, il excuse trop Augustin, quand il prétend que l’Église permettait alors d’avoir une concubine ; les Confessions, à elles seules, prouvent que Loofs n’a point compris le canon 17e de Tolède. Mais l’on peut dire qu’Augustin garda, jusque dans sa chute, une certaine dignité, des remords qui l’honorent, et même, dès l’âge de dix-neuf ans, un véritable désir de briser sa chaîne. En 373, en effet, une direction toute nouvelle est imprimée à sa vie par la lecture de l’Hortensius. Il y puise l’amour de la sagesse, dont Cicéron fait un si magnifique éloge. Dès lors, un idéal nouveau se lève dans son âme, il rêve déjà — ce n’est encore qu’un rêve — de renoncer à tout pour la vérité : Viluil mihi repente omnis vana spes, et immortalitatem sapientiæ concupiscebam æstu cordis incredibili. Conf., l. III, c. iv, n. 7. Dès ce moment, la rhétorique n’est plus pour Augustin qu’une carrière ; son cœur est à la philosophie. La solitude de Cassiciacum réalisera le rêve, retardé par la double séduction des passions et du manichéisme.

3o La crise manichéenne (373-382). — C’est encore en 373, dans sa dix-neuvième année, qu’Augustin tomba, avec son ami Honorat, dans les pièges des manichéens. Pendant neuf ans, novem annos totos, dit-il, De moribus manich., xix. P. L., t. xxxiii, col. 1374, il fut leur disciple, c’est-à-dire jusqu’à son départ d’Afrique pour Rome.

1. Les causes. — Comment un si grand esprit put-il être séduit par les rêveries orientales, synthétisées par le Persan Mani, en grec Μάνης (215-276), en un dualisme grossier et matériel, et introduites en Afrique à peine depuis cinquante ans ? Augustin nous a révélé lui-même les causes qui l’entraînèrent : a) Son orgueil se laissa prendre aux promesses d’une philosophie libre, sans le frein de la foi. Les manichéens répétaient : fidem nobis ante rationem imperari… ; seautem neminem premere ad fidem, nisi prius discussa et enodata veritate. Quis non illiceretur, præsertim adulescentis animus, cupidus veri, … superbus et garrutus ? De utilit. cred., i, 2, P. L., t. xlii, col. 66. Et dicebant : Veritas et Veritas, et multum eam dicebant. Conf., l. I, c. vi, col. 102. — b) Les contradictions qu’ils croyaient montrer dans les Ecritures, par exemple entre les deux généalogies de Matthieu et de bue. Cf. aveux d’Augustin à son peuple. Serm., li, 6, P. L. t. xxxviii, col. 336. — c) L’espoir de trouver chez eux une explication scientifique de la nature et de ses phénomènes les plus mystérieux. L’esprit curieux d’Augustin s’était passionné pour les sciences naturelles, et les manichéens lui assuraient que pour Faustus, leur docteur, la nature n’avait plus de secrets. — d) L’origine du mal tourmentait son esprit, et, faute de solution, il admettait la lutte des deux principes. — e) Le matérialisme, latent dans un système qui expliquait tout par l’opposition de la lumière et des ténèbres, séduisait Augustin : son esprit ne pouvait se représenter une substance spirituelle. Conf., l. IV, c. xxiv ; l. V, c. xviii ; l. VII, c. iv. — f) D’autres causes, d’ordre moral, achevèrent de l’entraîner. D’une part, il se laissa prendre à l’austérité apparente et aux vertus affectées des initiés manichéens, qui, sous le nom d’élus ou de parfaits, faisaient parade de l’abstinence et de la chasteté les plus rigoureuses : plus tard, l’hypocrisie démasquée le convertira. D’un autre côté, quel puissant attrait, que l’irresponsabilité morale, résultat d’une doctrine qui niait la liberté et en attribuait les crimes à un principe étranger ! Adhuc enim mihi videbatur, non esse nos qui peccamus, sed nescio quam aliam in nobis peccare naturam ; et delectabat superrbiam meam, extra culpam esse. Conf., l. V, c. x, n. 18, col. 714.

Une fois gagné à la secte, Augustin s’y livra avec toute l’ardeur de son caractère : il lisait tous leurs livres, adoptait et détendait toutes leurs opinions ; il attaquait la foi catholique miserrima et furiosissima loquacitate, De dono persev., xx, 53, P. L., t. xlv, col. 1026, et son prosélytisme fougueux entraîna dans l’erreur son ami Alypius, son Mécène de Tagaste, Romanien, ami de son père, dont la fortune subvenait aux dépenses de ses études, Cont. acad., l. I, c. i, 3, P. L., t. xxxii, col. 907, et enfin cet ami, dont il raconte la conversion, le baptême et la mort. Conf., l. IV, c. iv, v, P. L., t. xxxii, col. 696.

2. Professorat à Carthage. — Cette période manichéenne coïncide pour Augustin avec le plein épanouissement de ses facultés littéraires. Il était encore étudiant à Carthage, quand il embrassa l’erreur. Ses cours terminés, il eût dû naturellement aborder le forum litigiosum : il préféra la carrière des lettres et revint à Tagaste enseigner « la grammaire » , dit Possidius. Le jeune professeur sut captiver ses élèves, et l’un d’entre eux, Alypius, à peine plus jeune que lui, ne voudra plus le quitter ; après l’avoir suivi dans l’erreur, il sera baptisé avec lui à Milan, et deviendra, plus tard, évêque de Tagaste, sa ville natale. Cependant, Monique pleurait son hérésie, amplius quam flent matres corporea funera. Conf., l. III, c. xi, n. 19, col. 691. Un saint évêque, sans doute celui de Tagaste, la consola par ces mots : Fieri non potest, ut filius istarum lacrimarum pereat. Ibid., l. III, c. xiii, col. 693. Elle l’avait d’abord écarté de son foyer, mais bientôt elle consentit à le recevoir dans sa maison et à sa table.

La mort d’un ami très cher rendit à Augustin le séjour de Tagaste odieux. Pour se distraire de sa douleur par la gloire, il va continuer à Carthage son enseignement de la rhétorique. Sur ce théâtre plus vaste, où l’ont suivi ses élèves, Alypius et les deux fils de Romanien, ses talents brillent de tout leur éclat ; son esprit achève de Se former par d’infatigables études de tous les arts libéraux : omnes libres artium, quas liberales vacant, … per meipsum legi et intellexi. quoscumque legere potui. Conf., l. IV, n. 30, col. 705. Ayant pris part à une grande joute poétique, il remporta le prix, et le proconsul Vindicianus déposa sur sa tête, en plein théâtre, la corona agonistica. C’est à ce moment qu’il composa son premier ouvrage, aujourd’hui perdu, sur l’esthétique, De pulchro et apto. Ibid., n. 27, col. 704.

3. Augustin desenchanté du manichéisme. — Au fond, même à l’époque de son premier enthousiasme, la doctrine de Manès laissait dans son esprit de l’inquiétude et des nuages : jamais il ne tut pleinement satisfait, Loin d’avoir été prêtre de la secte, comme plus tard on l’en accusera, Cont. litt. Petit., iii, 20, P. L., t. xliii, col. 357, il ne fut jamais initié ou élu, et resta au degré d’auditeur, le plus bas de la hiérarchie, dans une sorte de catéchuménat. Son esprit inquiet cherchait partout une réponse aux mystères de la nature : bien qu’il ait toujours détesté la magie, Cond., l. IV, 3, col. 694, de l’étude de l’astronomie il alla jusqu’aux rêveries de l’astrologie, heureux de rejeter ses fautes sur