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ATHÉISME ET ERREURS CONNEXES. NOTIONS


II. POSITIVISME.

En principe, ce système n’est ni déisme ni athéisme, du moins athéisme théorique, n’ayant point de réponse sur l’origine des choses ; sa spécialité est même de ne vouloir point en avoir et de railler indistinctement ceux qui posent semblable problème et s’amusent à lui chercher une solution. A ses yeux, l’athée, aussi bien que le déiste, n’est point encore un esprit vraiment émancipé, c’est, toujours à sa manière, un théologien, un dogmatisant qui a un système du monde. Semblables luttes lui paraissent des combats fantasliques, bons pour les intelligences arriérées qui s’attardent dans les stages inférieurs de la pensée humaine. Car, pour le positivisme, l’esprit humain passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique, ou fictif ; l'état métaphysique, ou abstrait ; l'état scientifique, ou positif. Comte décrit ainsi cette loi du développement total de l’intelligence humaine, qui contient en substance tout le système positiviste. Dans l'état théologique, l’esprit humain, dirigeant ses recherches vers la nature intime des êtres, vers les causes finales de tous les elfels qui le frappent, en un mot, vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l’intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l’univers. Dans l'état métaphysique, qui n’est au fond qu’une simple modification générale du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers êtres du monde et conçues comme capables d’engendrer par elles-mêmes tous les phénomènes observés. Enfin, dans l'état positif, l’esprit humain reconnaissant l’impossibilité d’obtenir des notions absolues, renonce à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, Paris, 1892, t. I, p. 3 sq. Le premier caractère propre de la philosophie positive est donc précisément de regarder comme nécessairement interdits à la raison humaine tous les sublimes mystères des causes primordiales et finales que la philosophie théologique, disent-ils, explique, au contraire, avec une si admirable facilité, jusque dans ses moindres détails. L'école positive ne se contente pas de confiner ses adeptes dans l'étude des phénomènes et des causes, elle leur demande de si' séparer radicalement de la théologie et de la métaphysique, de déclarer les causes premières absolument inconnaissables et d’observer à leur égard une attitude de neutralité rigoureuse, à égale distance de toute négation et de toute affirmation. Voilà l’idéal : mais il est difficile de s’y maintenir. En fait, c’est un équilibre ble maîtres et disciples, cédant à la tendance commune, s, , dressent, eux aussi, un système du monde, et toujours, dans le sens de la négation matérialiste et athée, Comte n'échappe pas lui-même à cette fatalité, Après avoir, dans la première moitié' de sa carrière, répudié toute connivence avec l’athéisme, il y glisse manifestement sur la fin de sa vie, lorsqu’il essaie d'établir une religion sans Dieu, sans âme et sans immortalité. Quoique plus stable dans sa sévère orthodoxie, Littré ne réussit pas à se renfermer complètement dans l’indifférence. A maintes reprises, on le voit prêter son concours et son haut patronage aux pamphlel du matérialisme contre le spiritualisme.

Dans son édition du Dictionnaire <it> médecine de n, il s’exprime sur l'âme, sur la vie, sur l’organisation, iur la matière, dans des termes qui ne diffèrent

en rien de r>w qu’emploient les matérialistes. Ailleurs. dans un livre où l’auteur se déclare franchement mil

rialiste, Matérialisme et spiritualisme, par M. Leblais, Paris, 1861, Littré déclare, dans la préface, soutenir ceque le livre soutient, et combattre ce qu’il combat. C’est ainsi qu’on entend, en pratique, la neutralité et le parfait désintéressement. Personne ne s’y trompe. « En regard des courants spiritualistes de l'époque, écrit Biichner, Science et nature, t. i, p. 21, on peut considérer la philosophie positive comme étant athée, matérialiste et sensualiste. Ce que l’on désigne, à l'époque actuelle, sous le nom de Dieu, de Créateur, de Providence, d'Éternel, etc., ne représente, suivant la philosophie positive, que des figures de théologie métaphysique, des artifices de logique, des hypothèses qui. à l’origine, pouvaient bien être nécessaires. Ce qui doit remplacer le Dieu d’autrefois, c’est actuellement l’humanité, ou, à un point de vue général, l’amour de l’humanité. Diis exstinctis, Deoijue, successit humahitas. » Formulaire significatif montrant à merveille la notable déviation qu’ont effectuée, sous la poussée logique de l’esprit, ceux qui avaient voulu se mettre à l'écart de toute doctrine métaphysique et religieuse. Le dernier mot de leur dogmatisme, car ils sont eux aussi des dogmatisants, c’est le pur athéisme, et un athéisme d’autant plus dangereux qu’il se dissimule derrière une neutralité illusoire et qu’il se donne pour le credo officiel de tous les savants.

/II. SENSUALISME. — A cause de l'étroite corrélation de nos facultés avec leur objet, les systèmes psychologiques peuvent avoir avec la négation de Dieu une affinité compromettante. Le sensualisme en fait foi par son histoire, aussi bien que par l’analyse de ses doctrines. On sait la part qui lui revient dans la genèse des écoles sceptiques, matérialistes et athées du XVIIIe siècle. L’histoire de cette évolution aurait pu se lire d’avance dans l’examen des erreurs qui sont à son point d’origine. En ramenant toutes nos idées les plus simples comme les plus complexes à des combinaisons de pures sensations, en les faisant rentrer de gré ou de force dans le monde des impressions sensibles, et, par conséquent, dans le monde matériel, le sensualisme préparait inconsciemment dans ses trois écoles les éléments logiques d’une guerre à l’idée de Dieu.

Le sensualisme objectif estima que si tout notre savoir se réduisait à la sensation, nous ne connaissions que les choses matérielles, et, qu’en conséquence, hors de la matière, il n’y avait plus rien, puisque les corps sont les seuls objets que nos sens puissent atteindre. C'était donner dans le matérialisme et, par là, dans l’athéisme. Les partisans les plus résolus ne reculèrent pas au point ouïe raisonnement les avait conduits ; d’autres, plus timides, essayèrent de se soustraire, par l’inconséquence, à cette marche en avant.

Le sensualisme subjectif devait, en définitive, se heurter au même écueil, mais par une voie un peu plus détournée. Pour proportionner la faculté à son acte, il se vit obligé de confondre l’intelligence avec les sens et de rabaisser la nature humaine au niveau d’une nature sensible. Mais condamner notre plus haute activité' à n'élaborer que des sensations, c’est-à-dire une connaissance fugitive, mobile, variable à l’infini, et surtout sujet le à l’erreur, était ouvrir aux Ames la porte du scepticisme, du doute universel, et, finalement, de l’athéisme. Quand on fait planer l’incertitude sur les choses les plus évidentes, la notion de Dieu est la première qu’on abandonne à la négation. Le sensualisme moral ou épicurien arrive d’un trait a ce résultat. Si notre un dit-il, est tout entière renfermée dans les sens, la sensation est seule appelée à juger entre le bien et le mal, les émotions des sens sont le vrai et unique erilenum de moralité ; le bien, C’est le plaisir, le mal, c’est la douleur. ()n vogue a pleines voiles dans les eauxd'Épicure, de Démocrite et de leurs voluptueux disciples. Le principe suprême de la vie est la jouissance physique :