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ATHÉISME ET ERREURS CONNEXES. NOTIONS


3° Semblable immunité pour l’auteur d’une doctrine dont les conclusions ne détruisent point directement et immédiatement la notion de Dieu, encore que, par des déductions logiques, on puisse démontrer qu’elles la mettent en péril. La note spécifique d’un système se prend rigoureusement à la dernière conclusion que lui donne son auteur. Sans cela, on risquerait de rencontrer, parmi les tenants de l’athéisme, ceux-là même qui en ont été les plus redoutables adversaires, en commençant par Anaxagore, Platon, Aristote, etc. Prenons un exemple. La psychologie sensualiste de Locke conduit logiquement à nier Dieu ; cependant, il faut bien se garder de dire que Locke est athée ; il ne l’est pas ; il l’est si peu que, dans son Essay concerning human understanding ; il enseigne et prouve l’existence de Dieu. Le vrai nom de ce système est sensualisme. Il reste toutefois permis à la critique philosophique de montrer comment l’athéisme peut en sortir par une conséquence légilime, mais lointaine, en tout cas, énergiquement repoussée par l’auteur.

4° Mais si une doctrine est manifestement incompatible avec l’idée de Dieu, si sa conclusion est directement la négation équivalente du minimum de notion absolument requis pour formuler avec quelque vérité ce jugement : Dieu existe, alors son nom propre, dai>s le dictionnaire, doit être athéisme. Le lui imposer, c’est le droit, c’est le devoir de la plus impartiale critique ; c’est tout simplement mettre la chose dans son casier, c’est caractériser la vraie physionomie d’un système. Le principal est donc de fixer les éléments essentiels qui, dans toute théodicée, sont strictement exigés pour constituer l’idée de Dieu dans ses traits les plus généraux.

IV. Le matérialisme, forme de l’athéisme scientifique. — Si loin qu’on remonte dans l’histoire de la philosophie et des religions, la formule sur laquelle tombent d’accord les doctrines théologiques les plus diverses, c’est que Dieu est l’auteur du monde, sa cause première, le principe de toute existence. Les autres conceptions viennent se greffer et se grouper autour de ce nucleus idéologique. Ici, c’est une puissance qui produit, là une intelligence qui dispose, ailleurs une bonté qui perfectionne toutes choses, partout et toujours, une cause supérieure dont dépend l’univers. Et ainsi, le problème de l’origine du monde amène fatalement tout système philosophique qui le tente à se prononcer pour ou contre Dieu. C’est la croix de chemin où l’on se partage, le symbole sur lequel on se compte. Il faut rejeter la nécessité d’une telle alternative sur la nature même d’une question qui ne peut se résoudre, à travers les explications les plus compliquées, qu’en l’une ou l’autre de ces conclusions : 1° ou bien le monde s’explique par ses propres lois, se développe par le jeu fatal de ses propres forces ; il est sa cause à lui-même : c’est l’athéisme formel ; 2° ou bien le monde ne s’explique que par l’intervention d’une cause supérieure, distincte de la série des phénomènes cosmiques ; c’est le théisme. Pour juger, sur ce point, de la couleur d’une théorie philosophique, il n> aura qu'à mettre ses solutions en regard de ces deux réponses, c.r diagnostic deviendra plus évident encore par son application. Choions, parmi tous les systèmes, celui du matérialisme, sous sa forme la plus récente, la plus scientifique et la

plus courageuse, tel qu’il se trouve développé' dans les

ouvrages de ses chefs, Moleschott et Bûchner. Sorti en

droite ligne (les sciences phisiques, chimiques et pli siologiques, il se présente sous le patronage exclusif de la science expi rimentale et veul fonder une philosophie de la nature destinée à remplacer toutes les formes de religion. Quatre livres forment l'évangile de ces doc innés radicales : 1° la Circulation de la vie [Kreiêlauf des Lebene), traduit par le h r Ci/elles : dissertation ! physiologiques de Moleschott visant à établir l’unité el

l'éternité de la substance dans la variété des changements de forme ; 2° Force et matière (Kraft und Stoff), par Louis Bùchner : exposé de l’axiome générateur du système : sans matière point de force, sans force point de matière ; 3° Science et nature (Wissen und Natur), du même auteur, traduit par Delondre, Paris, 1866 : critique de plusieurs travaux scientifiques en vue de la philosophie de la nature ; 4° Leçons sur l’homme, par Cari Vogt, Paris, 1865 : application des dogmes matérialistes à l'étude de l’homme par l'étude comparée des cerveaux humains. A l’aide de ces divers écrits, on peut codifier leurs explications sur l’origine du monde, et offrir le type par excellence de l’athéisme scientifique contemporain.

1° axiome : Sans matière, point de force ; sansforre, point de matière. Car, sans la force, la matière rentrerait à l’instant dans un néant sans forme. Sans la matière, la force, réduite à elle-même, se dissiperait dans l’abstraction pure. La force est une simple propriété de la matière, inintelligible en dehors d’elle et sans elle. Elle n’est pas un dieu qui pousse la matière du dehors, elle n’est pas non plus une essence des choses séparables de la substance ; elle est une propriété liée, de toute éternité, à la matière et inséparable d’elle.

2e axiome : La matière est éternelle. On le prouve par son indestructibilité. L’atome est inattaquable. Ce qui ne peut pas être anéanti ne peut pas être créé. Donc la matière est éternelle. L’effort de la preuve porte sur l’indestructibilité de l’atome. On la base sur cette proposition célèbre qui a la force d’une loi scientifique : Rien ne se perd, rien ne se crée. Il n’y a dans le monde aucune action créatrice, ni destructrice : tout n’est qu’une vaste métamorphose nous montrant, sous la variation incessante des figures et des combinaisons, la même masse persistante. En ce qui concerne la matière, l’expérience le prouve par l'équation constante des éléments et des produits. Même phénomène pour la force. Variable dans ses manifestations, elle ne l’est pas dans son intensité qui est toujours, quant à la somme de ses effets, égale à ellemême. Toutes les forces de la nature se ramènent au même principe et se transforment d’après les règles de la mécanique. La chaleur, la lumière, l'électricité, ne sont que divers modes de mouvement. Biichner, en 1857, interprétait dans ce sens les travaux d’Ilelmholtz, sur l’action réciproque des forces de la nature (de Faraday, Discours à l’Institut royal de Londres, On tlie conservation of tlie force), et les résumait dans cette expression : immortalité de la force (voir Science et nature, t. I, p. 63), et, par suite, immortalité" de la matière. Sur la conservation de l'énergie et les causes possibles de sa déperdition, C. de Freycinet, Essais sur la philosophie des sciences, Paris, 1896, p. '2ô'.t.

3e axiome : Nécessité des lois de la nature. Elle découle des principes posés. Les lois étant les rapports mécaniques entre les forces, elles doivent être sur le même pied de nécessité. D’où l’on peut induire, dit Moleschott, combien il est antiscientifique de considérer le gouvernement de l’univers comme le cours d’un ordre réglé et déterminé d’avance par un esprit qui gouvernerait du dehors, tout en poursuivant la tâche pénible,

impossible même, de s’accorder avec des lois immuables. Un dilemme, devenu fameux, leur sert d’argument final. Ou ce son ! les lois immuables de la nature qui gouvernent, ou c’est la volonté divine ; il faut choisir. Si la

volonté' divine gouverne, les lois sont superflues ; si, au contraire, ce sont les lois, elles gouvernent immuablement, c’est-à-dire qu’elles excluent toute intervention d’une cause étrangère. Or, tout nous atteste l’existence des lois immuables. Donc l’idée de Dieu est la plus

inutile des chimères, à moins d’admettre un Dieu purement honoraire, dont on pourrait dire ce qu’on « lisait du roi constitutionnel : il règne et ne gouverne Pour l’honneur de Dieu, autant dire qu’il n’existe pa.