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ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE

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cet ouvrage du pseudo-Denys ne prouve pas l’assomption, si tant est qu’il en parle dans un passage très obscur. Voir Thomassin, De dierum festivorum celebritate, I. II, c. xx, § 12, et Tillemont, loc. cit., note xv sur la sainte Vierge. Le texte de la Chronique d’Eusébe, P. L., t. xxvii, col. 581, mentionne, il est vrai, le mystère de l’assomption dans cette phrase : Maria Virgo… ad Filium assumitur in cælum, ut quidam fuisse sibi revelatum scribunt ; mais, de l’aveu des critiques compétents, ce passage n’est qu’une interpolation. Quant au sermon attribué à saint Augustin sur le même mystère, il ne remonte pas au delà du XII siècle, et les bénédictins ont eu soin de le mettre ad calcem. P. L., t. XL, col. 1142. Les plus expresses réserves s’imposent également au sujet d’un récit rapporté par saint Jean Damascène sur la foi d’une histoire qu’il attribue à un certain Euthymius, et d’après laquelle le célèbre Juvénal, patriarche de Jérusalem, aurait lui-même invoqué, au milieu du Ve siècle, une ancienne et très véridique tradition prouvant la résurrection et l’assomption de la sainte Vierge. S. Jean Damascène, In dormit. B. M. V., homil., II, 18, P. G., t. xcvi, col. 748 sq. Ce passage, il est vrai, est inséré dans le bréviaire romain. Fest. Assumpt., IV die infra Octav., II Noctum. Mais l’Église elle-même nous invite à une certaine défiance à cet endroit, en supprimant l’expression très véridique. On sait d’ailleurs que Juvénal était peu scrupuleux sous le rapport de la probité littéraire ; et le pape saint Léon, dans une lettre à Maxime d’Antioche, s’en plaignait déjà très vivement. P. L., t. liv, col. 1044. — Dans quelle mesure peut-on invoquer le témoignage des apocryphes proprement dits. Il y a deux opinions à ce sujet. Les uns pensent qu’on peut les utiliser comme preuve au moins historique de la croyance chrétienne à l’époque de leur composition. Leurs auteurs, disent-ils, n’ont pas inventé le fait de l’assomption de Marie ; ils l’ont sans doute enjolivé de détails et de circonstances légendaires. Le fait lui-même était déjà connu et reçu dans l’Église, et les apocryphes peuvent être invoqués comme des témoins de la tradition orale de l’Église. Jurgens, dans la Zeitschrift für katholische Théologie, Inspruck, 1880, p.641 sq. ; Hurler, Theologix dogmaticae compendium, Inspruck, 1891, t. ii, n. 665. D’autres estiment qu’il est plus prudent d’écarter le témoignage des apocryphes, parce que leur origine est trop suspecte en général, et que nous ne sommes pas encore suffisamment renseignes sur leur provenance, leur date ou leur valeur. Quoi qu’il en soit, la croyance traditionnelle de l’Église ne doit pas son origine à ces documents légendaires. Non seulement il est impossible d’établir, par des textes et des faits précis, cette prétendue filiation que soutiennent ou insinuent volontiers certains critiques, mais il est facile de prouver que toutes les vraisemblances historiques écartent absolument une pareille hypothèse. Car enfin « il n’est pas vraisemblable que l’opinion d’un auteur plus ou moins digne de foi, produite au Ve siècle, se soit répandue subitement en Orient et en Occident, de manière à être acceptée par des Églises fort éloignées les unes des autres. et à provoquer sur les points les plus différents l’institution immédiate d’une fête solennelle. Cet accord que l’on constate ne peut être l’effet du hasard ou de l’irréflexion ; il résulte évidemment d’une persuasion universelle chez les chrétiens de cette époque, et qui, pour s’imposer, a dû être appuyée sur la double autorité de l’enseignement officiel et de la tradition » . Dom Renaudin, De la définition dogmatique de l’assomption, Angers, 1900, p. 21. Et cette induction historique à d’autant plus de valeur, qu’elle s’accorde pleinement avec les données théologiques concernant l’infaillibilité doctrinale de l’Église et la légitimité de l’argument de prescription. En fait de tradition et de croyances, c’est surtout dans l’Église que la prescription vaut titre, et qu’elle a force de loi, tant qu’elle ne vient pas se heurter à des titres supérieurs. Or, il n’y a, dans l’espèce aucun titre plus ancien ou plus sûr.

Le seul argument plus ou moins spécieux qu’on puisse opposer a la croyance traditionnelle, est le silence des Pères pendant les cinq premiers siècles. Mais pour que cet argument négatif eût quelque valeur, il faudrait prouver que les circonstances ou ont vécu les Pères rendent leur silence inexplicable, et cette preuve ne sera jamais faite. L’assomption, d’ailleurs, n’est pas la seule doctrine qui ne soit pas documentée pour les premiers siècles ; et le dogme de l’immaculée conception, entre autres, n’est guère mieux partagé sous ce rapport, car il ne paraît au grand jour qu’aux Ve et VIe siècles, vers la même époque que l’assomption. Si les Pères antérieurs n’ont pas cru devoir mentionner ces deux d’une façon explicite, c’est qu’ils avaient leurs raisons ; et, encore qu’il nous soit difficile de les connaître parfaitement, nous pouvons toutefois en soupçonner quelques-unes. N’y avait-il pas à craindre, par exemple, que certains hérétiques eussent abusé de ces dogmes en y cherchant la justification de leurs erreurs, et que les valentiniens, entre autres, eussent pris occasion de là pour s’affermir davantage dans leur conviction en au sujet du corps de Notre-Seigneur qu’ils formé d’une substance céleste et impassible ? Peut-être aussi les Pères laissaient-ils à dessein le culte de Marie dans une ombre discrète, pour éviter de fournir le moindre prétexte à une répétition quelconque d’actes idolâtriques, en réveillant par un enseignement inopportun le souvenir des nombreuses déesses que les païens avaient adorées. Les auteurs ecclésiastiques des premiers siècles avaient d’ailleurs bien d’autres préoccupations plus urgentes que de consigner par écrit, surtout pendant les persécutions, tout ce qui concerne le culte de la sainte Vierge ; et leur silence, après tout, ne doit pas nous paraître trop surprenant. Si la plupart des dogmes catholiques ont été soumis à la loi providentielle du développement organique, il n’est pas étonnant que cette loi se vérifie, même avec plus de rigueur, quand il s’agit d’une doctrine qui n’appartient pas, comme d’autres, à la substance même de l’économie rédemptrice.

Nous concluons de là que la croyance catholique au mystère de l’assomption, dont nous avons constate l’épanouissement aux VIe et VIIe siècles, doit remonter jusqu’aux apôtres par voie de tradition orale. C’est la seule explication satisfaisante de son origine, puisque cette croyance ne dérive pas des apocryphes et semble inconnue d’autre part a la tradition écrite. Elle aurait pu sans doute devoir son existence à une révélation privée ; mais l’histoire n’en a pas conservé la moindre trace, et c’est la une hypothèse gratuite, dépourvue de toute valeur. Seule, une tradition orale remontant aux apôtres peut être considérée comme la solution du problème.

3o  Témoignages postérieurs au VIIIe siècle.

À partir du IXe siècle, ils deviennent plus nombreux ; et si l’on excepte les quelques hésitations dont nous avons parle, et qui se sont produites çà et là, spécialement en France, sous l’influence combinée du décret pseudo-gélasien contre les apocryphes et de la lettre du pseudo-Jérôme à Paula et à Eustochium, nous trouvons une série ininterrompue de témoignages très explicites, où les Pères et les docteurs scolastiques, non seulement affirment la réalité de l’assomption corporelle, mais s’efforcent d’en montrer les multiples convenances et de marquer quelquefois le degré de certitude que comporte cette doctrine. Citons, entre autres, pour l’Église d’Occident. Notker, moine de Saint-Gall, qui en parle dans son martyrologe, vers 870. P. L., t. cxxxi, col. 1161 ; Atton, évêque de Verceil (†960), Serm., XVII, In assumptione beate Dei genitricis semper Virginis Mariae, P. L., t. cxxxiv col. 857 ; Fulbert, évêque de Chartres (†1029), Serm, v,