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ASCETISME


non nécessaire de bien-être matériel, ou même à la perte possible ou probable de quelques années de vie. S’il est permis, ce que personne ne conteste, de faire ces sacrifices pour des biens d’ordre simplement naturel, comme l’exercice d’un métier, d’une industrie, d’une profession, nécessaires au bien commun de la société ou au bien particulier d’un individu ou d’une famille, à plus forte raison le pourra-t-on pour des biens d’un ordre incomparablement plus élevé, comme les biens surnaturels vers lesquels tend la mortification chrétienne. Salmanticenses, loc. cit., n. 30. D’ailleurs l’expérience prouve que les austérités corporelles, pratiquées conformément à l’esprit de l’Église, suivant la direction de l’obéissance et l’inspiration de la prudence chrétienne n’ont point, par elles-mêmes, une influence sérieuse sur la durée de la vie bumaine ; le plus souvent les forces corporelles sont moins atteintes par des austérités modérées que par des soins trop attentifs et trop minutieux, ou par une condescendance trop délicate.

En appliquant ces principes généraux aux différents cas particuliers, on pourra facilement juger quels sont ceux qui sortent véritablement des limites permises. Si de tels cas se rencontraient dans l’histoire de l’ascétisme chrétien, ce qu’il ne serait point facile de démontrer, ils ne pourraient être excusés de faute plus ou moins grave, que par une entière bonne foi. S. Thomas, Sun), tlieol., IIa-IIæ, q. cxlvii, a. 1, ad2um ; Salmanticenses, loc. cit., n. 29.

II. RÉPONSE AUX PRINCIPAUX REPROCHES DIRIGÉS

contre l’ascétisme chrétien. — 1° On reproche à l’ascétisme chrétien de s’appuyer principalement sur cette doctrine inadmissible, que les forces morales de la nature humaine, gravement atteintes par les suites du péché originel, ne peuvent être rétablies dans leur équilibre normal que par la mortification ou l’ascèse chrétienne. — La doctrine catholique admet réellement, dans l’état actuel et comme effet du péché originel, une diminution de nos forces morales. Concile de Trente, sess. VI, c. I. Mais le terme de comparaison, d’après lequel se mesure cette diminution, n’est point la capacité native de la nature humaine pour le bien, mais la situation privilégiée qui lui était faite dans l’état de justice originelle, par le don préternaturel et entièrement ni de maîtrise absolue de la volonté sur les sens. Par la perte irréparable de cet heureux privilège, nos forces morales sont bien amoindries, en regard du surcroit de perfection que nous aurions possédée dans l’étal de justice originelle. Mais elles restent substantiellement ce qu’elles auraient pu être dans l’étal de pure nature, conformément à la condition de l’homme, doué d’intelligence et de liberté pour se diriger lui-même à sa fin, mais destiné, par suite de l’union substantielle entre l’âme et le corps, à lutter contre lis inclinations des sens. Ainsi la nécessite de l’ascèse chrétienne, tout en provenant de la condition même de notre nature considérée en elle-même sans les privilèges préternaturels de l’état d’innocence, est, en même temps, une conséquence de la faute originelle qui i dépouillés de ces privilèges. S.Thomas, Qun-slioncs disputatæ, De veritate, q. xxv. a. 7.

2° L’ascétisme chrétien, a ce que l’on assure, a tort d’attribuer aux privations, austérités et mortifications valeur méritoire et satisfactoire qui ne leur convient point ; elles n’ont qu’uni’valeur simplement éducative, pour la for tion morale de la volonté ;

eetie valeur éducative n’est-elle que purement i subjective, pi n i fins cas de faiblesse particulière et, pour ainsi dire, anormale de la volonté,

— Certaii - plus faibles, ou qui ont à lutter

contre des inclination ; plufortes provenant de l’hérédité ou d’habitudes individuelles antérieurement uises, peuvent avoir, même pour l’acquisition de la vertu, un plus impérieux du stimulant en i gique de l’ascèse enrétienne. Cependant, en dehors de ces cas spéciaux, il reste vrai que tout homme, dans les conditions actuelles de l’humanité, en face de l’opposition inévitable des sens, doit lutter contre leurs inclinations, pour pratiquer constamment la vertu, à plus forte raison pour tendre à la perfection chrétienne.

Si certaines austérités, d’une pratique plus exceptionnelle, n’ont point, pour l’éducation morale de la volonté, une raison d’être aussi impérieuse ou aussi immédiate, leur utilité n’en est pas moins réelle, quand elles sont réglées d’après l’esprit de l’Église et suivant la direction de la prudence chrétienne. D’ailleurs, ces pratiques de mortification chrétienne ne servent point seulement à l’éducation morale de la volonté. Elles ont aussi une valeur méritoire et satisfactoire, provenant non de l’acte extérieurconsidéré en lui-même, mais de cet amour particulièrement généreux de la volonté, qui se manifeste d’une manière toute spéciale par la grandeur des sacrifices qu’elle s’impose volontairement ou que, du moins, elle accepte patiemment. Cette doctrine n’est donc qu’une conclusion nécessaire de l’enseignement de l’Église, sur le pouvoir que possède toute âme juste de mériter et de satisfaire, par des œuvres remplissant les conditions prescrites. S’il y a, dans le cas présent, un mérite, ou une satisfaction plus considérable, on doit l’attribuer uniquement à la réalisation plus complète des conditions ordinaires, due surtout à l’intensité plus grande du sacrifice généreusement consenti par la volonté.

3° On affirme que l’homme outrepasse ses droits en s’infligeant lui-même des souffrances volontaires. Ce droit n’appartient qu’à Dieu. L’homme doit se contenter d’accepter docilement les souffrances qui lui sont envoyées par Dieu dans l’état de vie où il est placé. — L’homme, en recevant de Dieu tout son être, avec l’obligation de s’en servir pour tendre à sa fin dernière, a reçu, en même temps, le droit de régler, d’après cette lin obligatoire, l’exercice de toutes ses facultés et de tous ses sens intérieurs et extérieurs. En conséquence, pour parvenir à cette fin qui lui est imposée, il peut commander à ses facultés et à ses sens même extérieurs, tous les sacrifices qu’il juge nécessaires ou simplement utiles, à condition de ne point excéder les limites fixées par la prudence chrétienne. Pourquoi ce qui est permis, de l’aveu de tous, pour la conquête d’avantages simplement naturels, intellectuels ou matériels, ne serait-il point permis pour le bien moral et surtout pour le bien surnaturel de l’homme’.' Si le savant, l’industriel ou l’ouvrier peut, pour des intérêts d’ordre purement scientifique ou simplement matériel, sacrifier ses aises, son bien-être, en un mot tout ce qui ne lui est point nécessaire pour la santé du corps, pourquoi les mêmes sacrifices seraient-ils interdits à l’ascète chrétien, pour un but beaucoup plus relevé, surtout pour un but entièrement surnaturel.’Tout ce que l’on est en droit d’exiger, et l’ascétique catholique l’exige absolument, c’est que les mortifications

soient réglées conformément à l’esprit de l’Église et à la direction de la prudence chrétienne, de manière à ne point compromettre les devoirs d’état et à ne point porter d’atteinte grave à la santé corporelle. D’ailleurs, en affirmant, avec la doctrine catholique, la licéité ti le mérite particulier des mortifications volontaires, nous reconnaissons, avec l’Kgli-p (Cf. concile de Trente. sess. XIV, c. ix), que par une résignation bien chrétienne dans les (’preuves individuelles ou publiques envoyées par la divine providence, on peut aussi acquérir des mérites ou des satisfactions très considérables.

4° L’ascétisme chrétien, par sa tendance ordinaire à considérer l’étal social comme un mal et un danger auxquels on doit se Boustraire, contribue a rendre

l’boni indifférent aux souffrances i t au* misères qui

l’environnent, et à lui faire abandonner entièrement ses