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-1537 APOLOGÉTIQUE (HISTOIRE JUSQU’A LA FIN DU XVII* SIÈCLE) 1538

cipaux mystères, mais les trois premiers traitent des préambules de la foi : Dieu, les êtres créés, les rapports entre Dieu et le monde. Sans doute, cet ouvrage diffère sensiblement de nos théologies fondamentales, mais je ne sais s’il n’est pas, à certains égards, le plus « moderne » des ouvrages de saint Thomas et celui qui répond le mieux aux préoccupations de nos contemporains. Les rapports de la science et de la croyance, la nécessité morale de la révélation, le rôle exact des motifs de crédibilité ne sont nulle part mieux définis. L’exposition lucide et sereine tient plus de place que la controverse, le grand docteur pense, avec raison, que l’affirmation de la vérité est la condition et la partie essentielle d’une apologie efficace. Il ne fut guère suivi dans cette voie et les titres des ouvrages laissent deviner combien les préoccupations des erreurs contemporaines déterminaient le choix des matières et les procédés des apologistes : Propugnaculum fidei adversus deliramenta Alcorani ; c’est l’œuvre de frère Ricold, enfant de Saint-François ; Ilebræomastix, vindex impietatis et perfidise jw>aicse ; l’auteur est Jérôme de Sainte-Foi (Josua Lorki), talmudiste converti ; un autre, Juif de nation et chrétien par le baptême, Paul de Burgos, publiait vers le même temps (première moitié du XIVe siècle) le Dialogus Sauli et Pauli contra Judseos. Très répandu, ce livre amena de nombreuses conversions parmi les compatriotes de l’auteur, mais il ne dispensa pas, au siècle suivant, le mahométan Abdallah, devenu chrétien, d’écrire la Confusio sectx mahommetanse, ni le franciscain Alphonse de Spina décomposer son Fortalitium fidei contra Judteos, Saracenos, aliosque christianse fidei inimicos, Nuremberg, 1487. Glaives, boucliers, forteresses, … c’est à l’art de la guerre que nos apologistes militants empruntent leur terminologie belliqueuse ; d’allure assez différente et vraiment caractéristique est le volume de Pedro de la Cavalleria : Rationes laicales contra idiotas, quse docent fideni christianam veram et necessariam esse, 1487. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui une apologie à l’usage des gens du monde et l’auteur, faisant appel à leur réflexion, envisage moins la religion dans les preuves extérieures qui en démontrent la crédibilité, que dans sa structure intime et dans son excellence.

Nous ne serons pas surpris si, de la chute de l’empire romain à la Renaissance, l’apologétique est relativement incomplète et médiocre. Outre l’ignorance des premiers siècles du moyen âge, il faut attribuer à des raisons spéciales le niveau peu élevé de la polémique : à cette époque d’organisation sociale et doctrinale, le christianisme sentait le besoin de construire plutôt que d’attaquer ; relativement dispensé de se défendre, d’abord toléré, ensuite protégé, enfin dominant en maître, il profita des circonstances favorables pour édifier le temple de cette science sacrée dont les cathédrales étaient le symbole. Malgré des attaques partielles, il était obéi, vénéré comme une religion surnaturelle, et cela dura jusqu’à la transformation de l’Furope par la Renaissance, jusqu’à la révolte de la Réforme.

Dom CeDIier, Histoire des auteurs sacrés, 2’édit., 14 in-4°, Paris, 1808-1863 ; Schwane, Dogmengeschichte : Vornicànische m-8-, 2’(’dit., Friliourg-en-Biisgau, 1898 ; Patrittische Zeit, in-8-, 2° c ! dit., ibid., 1895 ; Mitllere Zeit, in-8°, ibid., 1882 ; Hurter, Xomenclator literarius, in-8’, Inspiuck, 1892, t. IV, pour les années 1 109 I 163 Inrlionnaire apologétique, t. 1, col. 191-20.Y

L. Maisonneuve.

IV. APOLOGÉTIQUE. De la fin du XV siècle à la fin du XVII’. — I. Fin du xve siècle et commencement du xvi » jusqu’à la Réforme. II. De 1517 au milieu du xvii » sièele. III. Dernière moitié du xvir siècle.

I. Fin ni ; XV SIÈCLE ET COMMENCEMENT DU XVI » jusqu’à la Réforme. — L’invention de l’imprimerie (1140), la prise de Constantinople par fis Turcs (1453), la découverte de l’Amérique (1492) ouvrirent à la pensée de vastes horizons et déterminèrent un mouvement intel DICT. DE THÉOL. CATIIOL.

lectuel, puissant, fécond, parfois dangereux. Scolastique avec Savonarole, platonicienne avec Marcile Ficin, naturaliste ou rationaliste avec Raymond de Sabonde, l’apologétique suivit des voies très diverses. Le Triumphum crucis contra sseculi sapientes, Florence, 1497, de Savonarole (1452-1498) est compose suivant les règles traditionnelles, s’inspire des Sommes de saint Thomas d’Aquin et ne garde pas trace des témérités fougueuses du célèbre dominicain. Qui ah uni taie Ramante Ecclesise dissentit, procul dubio per dévia aberrans a Christo recedit. L. IV, c. vi. Voilà une nette déclaration qui ne permet pas à la Réforme de revendiquer en sa faveur l’adversaire des Médicis. — S’il aima Platon avec excès, Marsile Ficin (1433-1499) lui emprunta des arguments contre les averroïstes, et malgré quelques erreurs sur les idées innées et les âmes des sphères célestes, son livre De religione christiana et fidei pielate, Venise, 1550, est une réfutation du paganisme, en dépit des complaisances de l’humaniste pour l’art et la littérature de la Grèce. Si le chanoine de Saint-Laurent tenait une lampe allumée devant le buste de Platon, il célébrait l’auteur du Phédon comme le précurseur de Jésus. Mais, cette raison qui conduit à la foi, ne pouvait-elle en démontrer les dogmes ? Déjà, au moyen âge, Raymond Lulle, le mystique alchimiste, l’avait pensé, et dès le xiiie siècle il s’évertuait à déduire de prémisses rationnelles les vérités révélées. Après lui, un professeur de l’université de Toulouse, l’auteur de la Theologia naturalis seu Liber creaturarum, s’efforça d’unir le livre de la nature et le livre de l’Écriture, par une continuité qui fait du second le développement du premier. Dieu et le monde, reliés entre eux par l’homme, s’expliquent l’un par l’autre ; la nature et la révélation traduisent en idiomes distincts la même pensée divine : Quamvis autem omnia qute probantur per libitum creaturarum, sint scripta in libro sacrée Scripturæ et ibi contineantur, et etiam illa quse ibi contineantur inlibro Riblite, s171t in libro creaturarum, tamen aliter et aliter. Theol. naturalis, tit. 212, édit. 1852, p. 314. Cet ouvrage est à la fois dogmatique et moral, et malgré l’erreur fondamentale qui en est le principe, il renferme d’excellentes parties, manifeste les intentions droites et le zèle ardent pour la conversion des infidèles qui animaient Raymond de Sabonde (+ 1432). C’est à la cabalistique et à la magie que Jean Pic de la Mirandole (1463-1494), ce prodige d’érudition pédantesque, demandait la confirmation de sa foi. Une de ses thèses condamnées par Innocent VIII est ainsi conçue : Nulla est scientia quxiios magis ccrtificet de divinilate Clirisli quam magia et caballa. Cependant à ses rêveries platoniciennes et à ses divagations superstitieuses, l’auteur de Y Heptapus joint des considérations justes et dignes d’intérêt. Bien plus curieux encore est le traité De docta ignoranlia, où Nicolas de dise (1401-1464), évêque de Brixen, cardinal de la sainte Fglise romaine, condense dans un syncrétisme outré ses rêveries mystiques, ses préjugés contre Aristote et sa culture scolastique. L’infini, le fini et leur rapport, ce problème qui est le fond des philosophies et des religions, est étudié dans un sens chrétien, puisque c’est le Christ rédempteur qui nous est présenté comme l’intermédiaire entre Dieu et l’homme. Dédaignant l’expérience et la raison, l’apologiste attribue à Y intelleclus la connaissance de la Vérité, mais c’est une lumière surnaturelle qui peut seule l’en rendre capable ; cela ressemble au lidéisme. D’autre part cette faculté peut atteindre et pénétrer le mystère de l’Unité divine où s’absorbent tous les contraires (coincidentia oppositorum)v s’enchevêtrent toutes les formes (complicatio omnium) : ceci confine au panthéisme. — Beaucoup moins original mais plus élégant et mesuré, Louis Vives écrivit eu cinq livres un ouvrage De veritate fidei christian : i’. Bâle, 1513. C’était un philologue « pie ses contemporains plaçaient.m rang d’Erasme et de liudée. « L’un, disaient-ils, l’emporte dicendi copia,

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