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lesquels aucune vérité n’est absolue, aucune connaissance définitive, et qui allient les notions opposées dans l’illusoire unité d’un jugement dont les termes se contredisent ; les raffinements des idéalistes dont la dialectique trompeuse ramène la réalité aux combinaisons et aux jeux de la pensée, à un songe, à une ombre ; les subtilités des phénoménistes qui refusent d’apercevoir la substance sous les accidents, et la réduisent à une série, à un enchaînement d’apparences dont la loi, établie par l’intelligence, demeure la seule et permanente réalité.

2. Vérités psychologiques. — L’apologiste devra poser les principes qui lui permettront de mettre en rapport la révélation chrétienne avec le sujet qui doit la recevoir, c’est-à-dire la connaître et l’embrasser ; ce sujet, c’est l’âme humaine. Si elle n’est spirituelle, elle ne s’élèvera pas au-dessus des données sensibles, et le monde supérieur de la foi lui sera fermé ; si elle n’est libre, l’obligation d’étudier et d’embrasser une doctrine surnaturelle ne peut lui être imposée ; si elle n’est immortelle, son activité bornée aux objets terrestres, n’ayant d’autre but que les biens, les plaisirs et les ambitions de la vie présente, se désintéresse naturellement et nécessairement d’un monde invisible et inaccessible, puisqu’elle n’aura jamais l’occasion de s’y exercer. La démonstration chrétienne implique donc une théorie spiritualiste et chrétienne de l’âme. Et, parce que la personne humaine est esprit et corps, les problèmes qui concernent le composé humain doivent être abordés, car de leur solution dépendent en partie les spéculations de la théologie sur l’action sacramentelle, la résurrection de la chair, les préceptes de la morale qui s’adressent non à un esprit séparé de la matière, mais à l’homme tout entier. Il est évident qu’on ne demandera pas à l’apologétique un traité complet sur cette matière ; elle devra se limiter aux notions indispensables et, pour atteindre tous les esprits, rester en dehors des systèmes, et n’aftirmer que les vérités connues par la raison avec certitude. Est-ce à dire qu’elle puisse rester neutre et se dispenser toujours de prendre parti entre les écoles ? Je ne le crois pas. Supporterail-on, par exemple, qu’elle admît, avec Locke que la matière peut être capable de penser, ou, avec Condillac, que nos idées ne sont que des sensations transformées ? D’autant plus qu’elle se trouve en présence d’une école nombreuse et bruyante de savants pour lesquels la psychologie n’est autre chose qu’une application ou une branche de la physiologie, et qui réduit son ambition à mesurer la rapidité ou l’intensité des actes psychiques. Certes, on ne devra point éconnaître la légitimité de la psychologie expérimentale, dont les principes et, jusqu’à un certain point, la méthode furent formulés par les grands scolastiques, et en particulier par saint Thomas d’Aquin ; les recherches auxquelles se livre la psycho-physique sont utiles, et les résultats qu’elle obtient très dignes d’intérêt. Mais, bien que l’activité mentale soit étroitement liée à nos états som itiques et dépende, dans la plupart de ses manifestations, des conditions physiologiques parmi lesquelles elle S’exerce, l’apologiste devra montrer qu’il faut se garder de considérer comme identiques les phénomènes qui ont le corps et l’esprit pour théâtre, et que la pensée apparaîtra de plus en plus, â mesure qu’on approfondira davantage sa nature, absolument irréductible au mouvement.

8. Tliéodicée.

La théologie surnaturelle suppose uni théologie naturelle qu’il appartient à la raison d’édifier. La révélation est une réalité extérieure et supérieure à l’homme ; elle est comprise par une intelligence créée ; clic est reçue dans une âme humaine ; elle vient de Dieu. Il faut donc s’élever jusqu’à l’Être infini de qui elle procède, et qui l’octroie à la créature comme un don gratuit. Nous sommes en présence des traditionalistes dont on connaît les oppositions et les résistances. Voir Traditionalisme et Fidéisme. Sans les réfuter ici directement, il faut bien dire qu’on retrouve leurs affirmations en des ouvrages contemporains dont les auteurs s’imposent à l’attention et à la reconnaissance des catholiques par la sincérité, les services et le talent. Car dire, avec un des plus autorisés : « On ne démontre pas l’existence de Dieu… on y croit ou on n’y croit pas, » c’est bien la formule exacte du fidéisme. Mais, puisque l’essence divine n’est pas objet d’intuition, puisque l’existence de Dieu n’est pas un fait d’expérience, il faut bien que la proposition qui l’affirme soit la conclusion d’un raisonnement, si l’on ne veut confondre la croyance avec une tendance instinctive, une opinion personnelle et subjective qui demeure vague, indéterminée, impression personnelle, qu’Userait impossiblede communiquer â autrui. Il importe cependant que l’idée de Dieu soit précise, afin que l’Être infini demeure distinct et transcendant par rapport à tous les autres. Si l’on veut qu’il ne soit pas confondu avec l’ensemble des choses, le concept idéal du monde, ou la résultante des forces cosmiques, il faut dégager la notion qui l’exprime des rêveries monstrueuses du panthéisme ; s’il doit apparaître indépendant de tout ce qui n’est pas lui, et agissant avec une autorité suprême sur le monde, le dogme de la création doit être approfondi pour que, souverain maître de toutes choses, il les dirige vers la fin conçue par sa sagesse et voulue par sa bonté. C’est donc à juste titre que, par des méthodes diverses et sous des formes variées, saint Augustin, Bossuet et Joseph de Maistre ont insisté sur la démonstration de la providence. Là nous semble être le point fixe d’où l’apologétique doit partir, la vérité fondamentale sur laquelle s’appuient tous ses arguments, qu’ils impliquent comme une affirmation essentielle, sans laquelle ils demeurent inintelligibles et inefficaces.

Tels nous semblent être les préliminaires rationnels de la démonstration chrétienne, que l’on pourrait résumer en ces termes : L’homme peut connaître avec certitude, par l’univers dont il fait partie, un Dieu qui le dirige vers sa destinée immortelle.

II. de LA nEUGiox.

Dieu et l’âme étant connus dans leur existence et leur nature, une relation naît entre eux, que l’on a appelée la religion. On ne met guère en doute, aujourd’hui, la réalité du phénomène religieux, irréductible à tous les autres, qui, naissant des profondeurs de la nature humaine, aflleure à sa surface comme expression supérieure de son activité. Mais la religion est pour les positivistes la manifestation primitive de nos aspirations supra-sensibles, l’état dans lequel elle a constitué notre race a été remplacé successivement par la spéculation ou état métaphysique, par l’explication ou état scientifique. Pour les évolutionistes, elle est l’épanouissement d’un germe que l’on découvre dans les besoins de la vie animale et se développe par une dilférenciation et un progrès des tendances qui la constituent. Kant et ses disciples la réduisent au concept mystique de la moralité : la religion ne serait que le véhicule des préceptes qui imposent le devoir et une forme concrète de l’impératif catégorique, spécialement adaptée à l’intelligence des petits et des humbles. D’autres. avec Schleiermacher, la font consister dans le sentiment de notre dépendance à l’égard de Dieu, ou avec Jacobi, dans une affection pieuse sans objet précis. Innombrables sont les définitions des rationalistes modernes pour exprimer l’origine et les formes de ce phénomène religieux qui les déconcerte, et pour le ramener à un fait psychologique, purement naturel, qui s’accommode â tous les cultes et coexiste parfois avec l’athéisme luimê L’apologiste démêlera dans le concept complexe de la religion le système des vérités qui la constituent, I ensemble des préceptes qui en découlent, des rites par lesquels Dieu et l’homme sont lies entre eux ; dogme, éthique, culte, les éléments intellectuels, moraux et rituels qui la composent, doivent être uns en lumière pour