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ARCANE


ce qui concerne la loi du silence. Nous allons voir que les témoignages les plus explicites établissent que le christianisme ne pratiquait pas cette loi.

Le nombre fut grand, dès le I er siècle, de ceux qui, après avoir embrassé le christianisme, l’abandonnèrent. Dans son enquête sur le christianisme en Bithynie (environ 112), Pline, sur la liste des citoyens dénoncés comme chrétiens, en rencontre qui n’avaient aucun scrupule à tout dire au légat des usages de la société dont ils s'étaient retirés, les uns depuis trois ans, d’autres depuis plus de vingt ans. Pline consigne leurs aveux : Ad/irmabant hanc fuisse summum vel culpæ sux vel erroris… Leur faute ou leur erreur, assuraient-ils, n’avait jamais consisté qu’en ceci : ils s’assemblaient à jour marqué avant l’aurore ; ils chantaient ensemble un carmen au Christ comme à un dieu ; ils s’engageaient par serment, non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol, de brigandage, d’adultère, à ne point être de mauvaise foi, à ne point nier un dépôt ; après cela ils avaient coutume de se séparer, et ils se réunissaient de nouveau pour prendre une nourriture ordinaire et innocente (coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium). Pline, pour plus de sûreté, a fait mettre à la torture deux servantes qui portaient dans la secte le titre de diaconesses (minislrse) : il n’a rien constaté de répréhensible, sinon une superstition grossière, immodérée. Epistul., x, 97. Laissons de côté les aveux de ces deux diaconesses, ne retenons que les déclarations des apostats : il ne paraît pas qu’ils aient rien caché à Pline, et, comme cecibus innoxius ne saurait être le repas des agapes, reste que ce soit l’eucharistie : aucun serment ne leur interdisait donc de tout révéler.

On peut raisonner de même et mieux encore sur la littérature chrétienne des deux premiers siècles. Le Nouveau Testament, non plus que l’Ancien, n'était un livre secret : n’aurait-il pas dû l'être d’ans l’hypothèse de la discipline del’arcanc ? Saint Justin adresse son apologieà l’empereur Antonin, à ses fils, au « sacré sénat » et au « peuple romain tout entier » : dans cette apologie rien n’est dissimulé de la doctrine ni du culte de l'Église, l’eucharistie notamment est dévoilée dans son rite et dans son dogme : où est l’arcane ? Passe pour les expressions symboliques de l’inscription d’Abercius ; passe pour un cryptogramme comme Vlchthus ; passe pour les peintures des catacombes ; admettons que des monuments de cet ordre aient besoin d’un commentaire pouf être entendus. Mais ce commentaire n’est-il pas surabondamment dans toute la littérature des deux premiers les, et combien nous est-elle parvenue réduite ? On fait étal du texte de saint Matthieu, vii, G : Nolite dare sanction canibus, neque miltatis margaritas vestras ante porcos ! Comme si ce texte, et il est unique, renfermait le précepte de la silentii fides autrement que par accommodation ? On en vient alors à concéder que la loi de l’arcane « n’a pas existé, comme lui positive, tout à fait dès le premier âge de l'Église t ; et que, en outre, cette même loi « fléchissait toutes les fois que le bien de la religion l’exigeait » . Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, Paris. 1865, p. 601-602. On omet cependant de nous prouver que, si peu rigoureuse fùttlle, cette loi existait. Insistons.

Saint Irénée, dans un fragment conservé par Œcuménius, parle d’esclaves qui avaient pour maîtres des « chrétiens catéchumènes » : ces esclaves furent arrêtés et interrogés, on voulait savoir d’eux quelque chose sur les chrétiens. Comme ces esclaves n’avaient rien à révéler qui pût satisfaire ceus qui les questionnaient, « sinon ce qu’ils avaient entendu dire à leurs maîtres, savoir que la divine chose qu’ils prenaient était le sang et le corps du Christ, el persuadés qu’il s’agissait réellement de sauu et de chair, ils le dirent à ceux qui les questionnaient. » Ce fut, dit Irénée, une découverte pour les païens ! Ils crurent incontinent que c'était cela

que les chrétiens accomplissaient (TôXEïVjOai), et » s s( ' le communiquaient, et ils voulaient le faire avouer aux deux martyrs Sanctos et Blandine. Mais Blandine répondit : « Comment les chrétiens pourraient-ils commettre pareilles horreurs, eux qui par ascétisme ne touchent même pas aux viandes permises ? » Ces esclaves ne sont pas chrétiens. Ils savent du christianisme seulement ce que leurs maîtres ont dit devant eux : leurs maîtres n’avaient donc point de secret à garder ? Ils savent ainsi que la communion consiste à participer au sang et au corps du Christ : quel serait l’objet de l’arcane si ce n'était l’eucharistie même ? On peut donc conclure que la discipline de l’arcane n’existait pas pour Irénée. P. G., t. vii, col. 1236. Llle n’existera pas davantage pour Tertullien.

Tertullien fait allusion au passage des Actes des apôtres où saint Paul est représenté, sur le navire, au milieu des matelots, prenant le pain, le rompant et le mangeant devant tous, après avoir rendu grâces à Dieu. Tertullien en conclut que tout lieu peut se prêter à la prière : « Les apôtres n’ont donc point agi contre le précepte, eux qui en prison priaient et chantaient en présence de leurs gardiens, et Paul pas davantage, qui in navi coram omnibus eucharistiam fecit.ti De orat., 21, P. L., t. i, col. 1299. On peut discuter le fait de savoir si, devant les deux cents et tant d’hommes de son navire, saint Paul a célébré l’eucharistie, ou pris une collation : du moins pour Tertullien nul don le que c'était l’eucharistie. Où était donc pour Tertullien le précepte de l’arcane ?

Tertullien, dans son Apologelicus, réfute les calomnies atroces que les païens répandent sur les assemblées chrétiennes. On nous traite de bandits à cause du prétendu mystère de l’infanticide : Dicimur scélérat issimi de sacramento infanticidii, et pabulo inde, etc. Pourquoi ne nous prenez-vous pas en flagrant délit ? Pourquoi vos bourreaux ne demandent-ils point aux chrétiens ce qu’ils font dans leurs assemblées (imperatis non ut dicant quse faciunt…)? Si nous nous cachons persévéramment (si semper latcrnus), comme on nous le reproche, comment connaissez-vous le crime que nous cachons ? Immo a quibus prodi potuit ? Ab ipsis enim reis non utique, cum vel ex forma omnibus mysteriis silentii /ides debeatur. Par qui notre crime a-t-il été dénoncé? Parles coupables ? Vous ne pouvez nous le donner à croire, vous païens, qui n’admettez pas en droit que le silence dû aux mystères puisse être violé. Et si, en fait, les mystères d’Eleusis ne sont révélés par personne, combien moins seraient révélés des mystères, les nôtres, si leur révélation dévoilait des crimes faits pour provoquer la vindicte publique ! Eleusinia reticentur : quanto m agis ialia quse prodita intérim etiam humanam animadversionem provocabuntf Aurons-nous été 1 trahis par des personnes étrangères à notre foi ? Comment ces étrangers connaissaient-ils nos mystères ? Cum i semper etiam pise initiationes arceant profanas. Apologet., 7, P. L., 1. 1, col. 306-309. En juriste, Tertullien argumente en partant des principes admis par ses adversaires. L’accusation d’infanticide portée contre les chrétiens est simplement un bruit qui n’a aucun fondement : car, peur qu’il fût fondé, il faudrait que les chrétiens eussent avoué leur crime ; or vous, païens, vous ne pouvez pas le supposer, vos principes en matière de mystères VOUS l’interdisant. Quant aux chrétiens, c’est autre chose ; eux, ils n’ont pas de fides silentii à observer : vous n’aviez qu'à leur demander i e qu’ils faisaient (ut dicant quse faciunt). Tertullien suppose donc que les chrétiens pouvaient loul dire, el ce I ige de VApologeticus, qui a si Bouvent servi à prouver l’existence de l’arcane, prouve au contraire que l’arcane n’existait pas.

Tertullien raille l’arcane profond où les valenlinions lit. Ils n’ont rien de plus à COBUr que de eælier