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retirer ses pieds des pédales : ses pieds restèrent implacablement fixés. Il tenta de hausser son séant ; son séant et le siège du bicycle étaient inséparables l’un de l’autre.

En proie aux plus bizarres pressentiments, tourmenté d’une inquiétude inexprimable, Marius rentra chez lui et expliqua à sa famille le phénomène surnaturel dont il était le jouet. Ses parents se moquèrent d’abord de lui, supposant une de ces farces comme les méridionaux ont l’habitude de s’en faire entre eux.

— Descends de ton bicycle, eh ! feignant ! lui crièrent ses petits frères.

Il fallut que Marius versât d’abondantes larmes pour qu’on commençât à prendre son aventure au sérieux.

— Té ! tu t’es empêtré là-dessus ! lui dit son père. Attends, je vais te retirer de là, nigaud !

Mais, quelque effort que fit le père de Marius, il fut incapable de disjoindre son fils et le bicycle. Alors, comprenant qu’il se passait quelque chose de fantastique, toute la famille se mit à genoux et adressa des prières au ciel en sanglotant. Puis on alla quérir des voisins qui furent épouvantés et firent le signe de la croix. Le bruit s’en répandit bientôt dans tout le quartier et un grand rassemblement eut lieu devant la porte de l’habitation de Marius.

— Il faut l’exorciser, murmura une brave dame qui se précipita chez le curé de la paroisse, lequel vint en toute hâte. Mais il eut beau jeter de l’eau bénite sur le malheureux Marius, lui et le bicycle n’en restèrent pas moins intimement unis.

— Ça ne regarde pas la religion, dit le curé. Je vous conseille d’envoyer chercher un médecin.