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Cependant, à l’âge de vingt ans, Marius, ayant épuisé toutes les joies que les bicycles de ce monde peuvent procurer, fut saisi de mélancolie. Il murmurait :

— Je suis le plus fort de tous les bicyclistes connus ; tout ce que l’on peut faire avec un bicycle, je l’ai accompli, et au-delà. J’ai parcouru les cinq parties du monde, j’ai étonné mes contemporains. J’ai vidé la coupe des triomphes. Que me reste-t-il à faire ? Oh ! l’humanité est bien bornée !

Et il poussait de longs soupirs sur la vanité de toutes choses. Un matin, après avoir ruminé ces tristes réflexions, il monta machinalement sur son bicycle et s’élança dans la campagne.

ii

Il ne tarda pas à éprouver une sensation étrange. Il avait beau rouler avec une rapidité vertigineuse, il n’avait plus la notion de l’effort ni de la fatigue. Il lui semblait que le bicycle entrait pour ainsi dire en lui, devenait une partie intégrante de son individu. Ses mains dirigeaient le gouvernail machinalement, comme si c’eût été un de ses propres doigts ; ses pieds et les pédales étaient confondus au point qu’il ne savait plus où finissait sa chair et où commençait le bicycle. Ayant heurté un caillou pointu avec une roue, il eut le même mal que s’il avait marché pieds nus sur des pierres.

« Voilà qui est particulier ! » s’êcria-t-il. Il modéra son allure, s’arrêta et essaya de descendre. Mais alors il crut que la folie s’emparait de lui ou qu’il était victime de quelque cauchemar inouï. Il voulut se pincer le bout de l’oreille avec les doigts pour se réveiller, ainsi que c’est la mode en Provence, mais les mains ne purent se détacher du gouvernail. Il voulut