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À partir de cet instant, ce ne fut plus qu’un tumulte continu traversé de quelques moments de silence ; dès lors, les orateurs n’apparaissent à la tribune que par groupes ; Crémieux, Ledru-Rollin, Lamartine enfin s’y élancent en même temps. Ledru-Rollin en chasse Crémieux et s’y attache de ses deux larges mains, tandis que Lamartine, sans la quitter et sans lutter attend que son collègue ait parlé ; Ledru-Rollin commence et divague, interrompu à chaque instant par l’impatience de ses propres amis : « Concluez ! concluez ! » lui crie Berryer plus expérimenté que lui et plus avisé dans sa rancune dynastique que l’autre dans ses passions républicaines. Ledru-Rollin demande enfin la nomination d’un gouvernement provisoire et descend.

Lamartine s’avance alors, et il obtient le silence : il commence par un magnifique éloge du courage de la duchesse d’Orléans, et le peuple lui-même, qui n’est jamais insensible à des sentiments généreux renfermés dans de grands mots, applaudit. Les députés respiraient. « Attendez, disais-je à mes voisins, ce n’est que l’exorde. » En effet, bientôt Lamartine tourne court et marche droit au même but que venait d’indiquer Ledru-Rollin.

Jusque-là, ainsi que je l’ai dit, toutes les tribunes excepté celle des journalistes étaient restées vides et