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cycle, est refoulée par un flot du dehors vers les bancs du centre déjà mal garnis ; elle déborde et s’y répand. Des députés qui les occupaient encore, les uns s’esquivent et quittent la salle, tandis que les autres reculent de banc en banc, comme ces malheureux qui surpris par la marée montante se retirent de rocher en rocher toujours poursuivis par la mer qui s’élève. Tout ce mouvement était produit par deux troupes d’hommes, la plupart armés, qui s’avançaient dans les deux couloirs, ayant chacun à leur tête des officiers de la garde nationale et des drapeaux. Les deux officiers, qui portaient les drapeaux, dont l’un à mine de sacripant était, à ce qu’on m’a dit depuis, le colonel en retraite Dumoulin, montent à la tribune d’un pas théâtral, y agitent leurs étendards et y braillent avec beaucoup de haut-le-corps et de grands gestes de mélodrame je ne sais quel galimatias révolutionnaire. Le président déclare que la séance est suspendue et veut, suivant l’usage, se couvrir ; et, comme il avait le don de rencontrer le ridicule au milieu des situations les plus tragiques, il prend dans sa précipitation le chapeau d’un secrétaire pour le sien et se l’enfonce jusqu’au dessous des yeux.

De pareilles séances ne se suspendent point, comme on peut croire, et la tentative du président ne fit que rendre celle-ci plus désordonnée.