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Chambre ! dis-je ; avez-vous pris quelques précautions pour sa défense ? » Beaumont reçut cette observation avec humeur, comme si je lui eusse parlé de ma propre maison. « Qui pense à la Chambre ? me répondit-il brusquement ? À quoi peut-elle servir et à quoi peut-elle nuire dans l’état des affaires ? » Je trouvai qu’il avait tort de penser ainsi, et il l’avait en effet. La Chambre, il est vrai, était, en ce moment, réduite à une singulière impuissance, sa majorité étant méprisée et sa minorité dépassée par l’opinion du jour. Mais M. de Beaumont oubliait que c’est surtout en temps de révolution que les moindres organes du droit, bien plus, les objets extérieurs eux-mêmes, qui rappellent à l’esprit du peuple l’idée de la loi, prennent le plus d’importance ; car, c’est principalement au milieu de cette anarchie et de cet ébranlement universel, qu’on sent le besoin de recourir à quelque simulacre de tradition et d’autorité pour sauver ce qui reste d’une constitution à moitié détruite, ou pour achever de la faire disparaître. Si les députés avaient pu proclamer la régence, peut-être celle-ci aurait-elle fini par prévaloir, malgré leur impopularité ; et, d’une autre part, on ne saurait nier que le gouvernement provisoire n’ait dû beaucoup au hasard qui le fit naître entre les quatre murs que la représentation nationale avait si longtemps habités.