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personne, depuis le matin, n’ordonnant plus, il ne savait que résoudre. On me pria de l’aller trouver pour le déterminer à monter au fauteuil et j’y fus. Je trouvai cet homme excellent, — car il l’était malgré qu’il se permît souvent les supercheries bénignes, les mensonges pieux, les petites bassesses, tous les menus péchés qu’un cœur timide et un esprit incertain peuvent suggérer à une âme honnête ; — je le trouvai, dis-je, se promenant seul dans son appartement en proie à l’émotion la plus vive. On sait que M. Sauzet avait de beaux traits sans distinction, une dignité de suisse de cathédrale, un corps grand et gros, auquel étaient attachés des bras fort courts. Dans les moments où il était inquiet et troublé, et il l’était presque toujours, il agitait ses petits bras d’une façon convulsive et les remuait autour de lui comme un homme qui se noie. Pendant que nous causions, il se démenait d’une étrange manière, il marchait, s’arrêtait, s’asseyait, un pied retourné sous son gros derrière, comme il avait coutume de le faire dans les moments de grande agitation, se relevait, s’asseyait encore et ne concluait à rien. Ce fut un grand malheur pour la maison d’Orléans d’avoir un honnête homme de cette espèce à la tête de la Chambre un pareil jour : un coquin hardi eût mieux valu.

M. Sauzet me donna beaucoup de raisons pour ne pas