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réussir que chez des nations plus intéressées et moins vaniteuses que la nôtre ; chez nous, quand le gouvernement ainsi fondé devient impopulaire, il arrive que les membres de la classe même pour laquelle il se dépopularise, préfèrent le plaisir de médire de lui avec tout le monde aux privilèges qu’on leur assure. L’ancienne aristocratie française, qui était plus éclairée que notre classe moyenne et pourvue d’un esprit de corps bien plus puissant, avait déjà donné le même exemple ; elle avait fini par trouver de bel air de blâmer ses propres privilèges et par tonner contre les abus dont elle vivait. Je pense donc, qu’à tout prendre, la méthode la plus sûre que puisse suivre chez nous le gouvernement, pour se maintenir, est de bien gouverner, de gouverner dans l’intérêt de tout le monde. Encore dois-je convenir que, même en prenant cette voie, il n’est pas bien certain qu’il dure longtemps.

Je partis bientôt pour me rendre à la Chambre, quoique l’heure indiquée pour l’ouverture de la séance ne fût point arrivée ; il était, je crois, environ onze heures. Je trouvai la place Louis XV encore vide de peuple, mais occupée par plusieurs régiments de cavalerie. Lorsque je vis ces troupes si nombreuses et en si belle ordonnance, je crus qu’on n’avait abandonné les rues que pour se réunir en grande masse autour des Tuileries et s’y défendre ; au pied de l’obélisque