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promis le cabinet si on l’eût adopté. Dans le temps où cet incident préoccupait le plus les esprits, M. Sallandrouze se rendit un soir à la réception des Tuileries, espérant bien que, cette fois, il ne resterait pas inaperçu dans la foule. En effet, dès que le roi Louis-Philippe le vit, il vint à lui d’un air empressé et le tira à part gravement ; il se mit aussitôt à lui parler avec beaucoup d’intérêt et de chaleur de l’industrie à laquelle le jeune député devait sa fortune. Celui-ci ne s’en étonna pas d’abord, pensant que ce prince, habile à manier les esprits, prenait ce petit chemin particulier pour arriver par un détour aux grandes affaires. Mais il se trompait, car au bout d’un quart d’heure, le roi changea non de conversation mais d’interlocuteur, laissant mon homme fort confus au milieu de ses laines et de ses tapis. M. Sallandrouze n’avait pas encore digéré cette espièglerie, mais il commençait à avoir très grand peur d’être trop vengé. Il nous raconta que, la veille, M. Émile Girardin lui avait dit : « Dans deux jours, la monarchie de Juillet n’existera plus. » Cela nous parut à tous hyperbole de journaliste et l’était peut-être en effet ; mais l’événement en fit un oracle.

Le lendemain, 23 février, j’appris, en m’éveillant, que l’agitation de Paris, au lieu de se calmer, s’accroissait. Je me rendis de bonne heure à la Chambre ; le silence régnait autour de cette Assemblée ; des batail-