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choses humaines ! M. Odilon Barrot, qui blâmait ce programme autant que personne, n’osa le désavouer, de peur de blesser les hommes qui, jusque-là, avaient paru marcher avec lui ; puis, lorsque le gouvernement, effrayé de la publication de cette pièce, eut défendu le banquet, M. Barrot, se trouvant en face de la guerre civile, recula. Il renonça lui-même à cette manifestation dangereuse ; mais, en même temps qu’il faisait cette concession aux opinions modérées, il concédait aux extrêmes la mise en jugement des ministres. Il accusait ceux-ci d’avoir violé la constitution en défendant le banquet, fournissant ainsi une excuse à ceux qui allaient prendre les armes au nom de la constitution violée.

Ainsi, les principaux chefs du parti radical, qui croyaient qu’une révolution était prématurée et qui ne la voulaient point encore, s’étaient crus obligés dans les banquets, pour se différencier de leurs alliés de l’opposition dynastique, de tenir des discours très révolutionnaires et de souffler le feu des passions insurrectionnelles. L’opposition dynastique, de son côté, qui ne voulait plus de banquets, avait été forcée de persévérer dans cette mauvaise voie pour ne pas paraître reculer devant les défis du pouvoir ; et enfin, la masse des conservateurs, qui croyaient de grandes concessions nécessaires et désiraient les faire, fut entraînée