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dans la chaleur de la lutte à établir que le droit de s’assembler dans les banquets était un de nos droits les plus incontestables et les plus nécessaires[1] ; que le contester, c’était fouler aux pieds la liberté même et violer la Charte, sans voir qu’ils faisaient ainsi, sans s’en douter, un appel non à la discussion mais aux armes. De son côté, M. Duchâtel qui, d’ordinaire, était fort adroit, se montra, dans cette circonstance, d’une maladresse consommée[2]. Il nia d’une manière absolue le droit de s’assembler et, cependant, il ne dit pas clairement que le gouvernement était décidé à empêcher désormais toute manifestation semblable ; au contraire, il semblait inviter l’opposition à tenter de nouveau l’aventure, afin que les tribunaux pussent être saisis de la question. Son collègue, le ministre de la justice, M. Hébert, fut plus maladroit encore, mais c’était sa coutume. J’ai toujours remarqué que les magistrats ne devenaient jamais des hommes politiques ; mais je n’en ai jamais rencontré aucun qui le

  1. Discours de M. Duvergier de Hauranne, 7 février 1848. (Note de l’éditeur.)
  2. Le ministre répondait à M. Léon de Hatteville ; il invoqua les lois de 1790 et 1791 conférant à l’autorité le droit de s’opposer aux réunions publiques, quand celles-ci paraissent devoir être dangereuses pour l’ordre public, cita des précédents, et déclara que le gouvernement accomplissant son devoir ne céderait pas devant des manifestations, quelles qu’elles fussent. Il reprit à la fin de son discours les mots : passions aveugles ou ennemies, et s’efforça de les justifier. (Note de l’éditeur.)