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être de rallier ses amis dispersés et de réduire enfin ses adversaires à l’impuissance. J’avoue que je le croyais comme lui ; son air d’assurance non feinte m’en avait imposé.

Il n’y avait de véritablement inquiets, en ce moment, dans Paris, que les chefs des radicaux ou les hommes, qui approchaient d’assez près le peuple et le parti révolutionnaire pour savoir ce qui se passait de ce côté. J’ai lieu de croire que la plupart de ceux-là voyaient avec crainte les événements prêts à se précipiter ; soit qu’ils conservassent la tradition de leurs anciennes passions plutôt que ces passions mêmes, soit qu’ils commençassent à s’habituer à un état de choses dans lequel ils avaient pris rang après l’avoir tant de fois maudit, soit qu’ils doutassent du succès ; soit plutôt que, placés de manière à voir de près et à bien connaître leurs auxiliaires, ils fussent effrayés à ce moment suprême de la victoire qu’ils allaient leur devoir. La veille même des événements, madame de Lamartine étant venue voir madame de Tocqueville, lui montra une anxiété extraordinaire et lui fit voir un esprit échauffé et presque troublé par tant de sinistres idées que celle-ci en fut émue et m’en fit part le soir même.

Ce n’est certes pas un des caractères les moins bizarres de cette révolution singulière que l’événement qui l’a produite ait été amené et presque désiré par