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La proposition de Sallandrouze nous fut expliquée par Billault ; nous l’acceptâmes aussitôt et rédigeâmes un ordre du jour en conséquence. Ce fut moi qui le rédigeai, et cette rédaction, après avoir été modifiée, fut acceptée par mes amis. Les termes que j’ai oubliés étaient très modérés, mais l’adoption de cet ordre du jour amenait forcément la retraite du cabinet.

Restait à remplir la condition du vote des conservateurs, c’est-à-dire le renoncement au banquet. Nous étions restés étrangers à ce mouvement, ce n’était pas nous qui pouvions l’arrêter. Il fut convenu que l’un d’entre nous irait trouver immédiatement Duvergier de Hauranne et Barrot et leur proposerait d’agir dans le sens de la condition exigée. Rivet fut choisi pour cette négociation et nous nous ajournâmes au soir pour savoir ce à quoi il avait réussi.

Le soir, il vint en effet nous rendre compte de ce qui avait eu lieu ; le voici :

Barrot était entré dans l’ouverture avec ardeur ; il avait pris avec effusion les mains de celui qui la lui faisait, et s’était déclaré disposé à faire tout ce qu’on exigeait de lui dans le sens indiqué ; il paraissait soulagé d’un grand poids en entrevoyant la possibilité d’échapper à la responsabilité du banquet. Mais il ajouta qu’il n’était pas seul engagé dans cette entreprise et qu’il fallait s’entendre avec ses amis sans lesquels il ne ferait rien. Nous ne le savions que trop !

Rivet se rendit chez Duvergier. Celui-ci était au Conservatoire de musique ; mais il devait rentrer chez lui avant dîner. Rivet l’attendit. Duvergier revint. Rivet lui fit part de la proposition des conservateurs et de notre ordre du jour. Duvergier reçut assez dédaigneusement cette communication ; ils étaient trop avancés, dit-il, pour reculer ; les conservateurs revenaient à résipiscence trop tard ; lui Duvergier et ses amis ne pouvaient, sans perdre leur popularité et peut-être toute leur influence sur les masses, entreprendre de faire renoncer celles-ci à la manifestation projetée. Du reste, ajouta-t-il, je ne vous donne ici que mon impression instantanée et personnelle, mais je vais dîner chez