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avaient répondu sur-le-champ qu’à leur avis l’Autriche et la Russie dépassaient leur droit ; et ils avaient encouragé le gouvernement turc dans sa résistance.

Sur ces entrefaites parut à Constantinople un aide de camp du tsar ; il apportait une lettre que ce prince s’était donné la peine d’écrire de sa main au sultan, pour réclamer l’extradition des Polonais qui avaient servi pendant la guerre de Hongrie, six mois avant, contre l’armée russe. Cette démarche paraîtra bien étrange si l’on ne pénètre les raisons particulières qui firent agir le tsar en cette circonstance. Ce passage d’une lettre de Lamoricière les indique avec beaucoup de sagacité, et montre à quel point l’opinion publique est redoutée dans cette extrémité de l’Europe, où elle semble n’avoir ni organe ni pouvoir.

« La guerre de Hongrie, vous le savez, m’écrivait-il[1], faite pour soutenir l’Autriche que l’on hait comme peuple et que l’on n’estime pas comme gouvernement, était très impopulaire ; elle n’a rien rapporté, elle a coûté quatre-vingt-quatre millions de francs. Les Russes espéraient, pour prix des sacrifices de la campagne, ramener Bem, Dembiski et les autres Polonais prisonniers en Pologne. Il y a dans l’armée

  1. Dépêches des 11 et 25 octobre 1849.