Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les avions presque abandonnés. Elle demeura fort populaire à Turin, et la France fort suspectée. Car les nations sont comme les hommes, elles aiment encore mieux ce qui flatte leurs passions que ce qui sert leurs intérêts.

À peine sortis de ce mauvais pas, nous tombâmes dans un pire. Nous avions vu avec regret et avec crainte ce qui se passait en Hongrie. Les malheurs de ce peuple infortuné excitaient nos sympathies. L’intervention des Russes, qui subordonnait pour un temps l’Autriche au tsar et faisait pénétrer de plus en plus la main de celui-ci dans le maniement des affaires générales de l’Europe, ne pouvait nous plaire. Mais tous ces événements se passaient hors de notre portée, et nous n’y pouvions rien. « Je n’ai pas besoin de vous dire, écrivais-je dans les instructions données à Lamoricière, avec quel vif et douloureux intérêt nous suivons les événements de Hongrie. Malheureusement, dans cette question, notre rôle ne peut, quant à présent, qu’être passif. La lettre et l’esprit des traités ne nous ouvrent aucun droit d’intervention. D’ailleurs, l’éloignement où nous nous trouvons du théâtre de la guerre imposerait seul, dans l’état actuel de nos affaires et de celles de l’Europe, une certaine réserve. Ne pouvant parler et agir avec efficacité, il est de notre propre dignité de ne point montrer, à l’égard de cette