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manqua tout à coup, comme je m’y étais attendu, et il rentra dans son ancien rôle. La constitution germanique de 1815 reprit son empire, la diète ses séances ; et bientôt de tout ce grand mouvement de 1848 il ne resta plus en Allemagne que deux traces visibles : une dépendance plus grande des petits États à l’égard des grandes monarchies, une atteinte irréparable portée à tout ce qui restait des institutions féodales ; leur ruine, consommée par les peuples, fut sanctionnée par les princes. D’un bout de l’Allemagne à l’autre la perpétuité des rentes foncières, les dîmes seigneuriales, les corvées, les droits de mutation, de chasse, de justice, qui constituaient une grande partie de la richesse des nobles restèrent abolis[1]. Les rois étaient restaurés, mais les aristocraties ne se relevèrent pas[2].

M’étant convaincu de bonne heure que nous n’avions aucun rôle à jouer dans cette crise intérieure de l’Al-

  1. Lettre particulière de Baumont de Vienne, du 10 octobre 1849. — Dépêche de M. Lefèbre de Munich, 23 juillet 1849.
  2. J’avais prévu dès l’origine que l’Autriche et la Prusse rentreraient bientôt dans leur ancienne sphère et retomberaient l’une et l’autre sous l’influence de la Russie. Je retrouve ces prévisions dans les instructions que je donnai le 24 juillet, c’est-à-dire avant les événements que je viens de raconter, à l’un de nos ambassadeurs qui se rendait en Allemagne. Ces instructions sont rédigées par moi-même, comme toutes mes dépêches principales, j’y lis :

    « Je sais que la maladie qui travaille toutes les vieilles sociétés européennes est incurable, qu’en changeant de symptôme elle ne change pas de nature et que tous les anciens pouvoirs sont plus ou moins menacés