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l’avaient inspirée, subsistaient encore. Le roi de Prusse avait entrepris de se l’approprier et de s’en servir. Ce prince, homme d’esprit, mais de peu de sens, flottait depuis un an entre la peur que lui causait la révolution et l’envie qu’il avait d’en tirer parti. Il luttait autant qu’il le pouvait contre l’esprit libéral et démocratique du siècle ; mais il favorisait l’esprit unitaire de l’Allemagne, jeu de brouillon, dans lequel, s’il eût osé aller jusqu’au bout de ses désirs, il eût risqué sa couronne et sa vie. Car, pour briser les résistances que ne pouvaient manquer d’opposer à l’établissement d’un pouvoir central les institutions existantes et l’intérêt des princes, il eût fallu appeler à son aide les passions révolutionnaires des peuples, dont Frédéric-Guillaume n’aurait pu se servir sans être bientôt détruit lui-même par elles.

Tant que le parlement de Francfort conserva son prestige et son pouvoir, le roi de Prusse le ménagea et s’efforça de se faire mettre par lui à la tête du nouvel empire. Quand ce parlement fut tombé dans le discrédit et dans l’impuissance, le roi changea de conduite sans changer de dessein. Il essaya d’hériter de cette assemblée et de réaliser, pour combattre la révolution, la chimère de l’unité allemande, dont les démocrates s’étaient servis pour ébranler tous les trônes. À cet effet il invita tous les princes allemands