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mais je sais qu’il est votre meilleur ami et cela suffit pour me décider. » Je fus ravi ; personne ne convenait mieux que Beaumont à la place qu’il s’agissait alors de remplir, et rien ne pouvait m’être plus agréable que de la lui offrir.

Tous mes collègues ne m’imitaient pas dans le soin que je mettais à capter la bienveillance du président, sans sortir de mes opinions et de mes devoirs.

Dufaure, pourtant, contre toute attente, fut toujours vis-à-vis de lui ce qu’il devait être, je crois que la simplicité des manières du président l’avait à demi gagné ; mais Passy semblait se plaire à lui être désagréable. Je pense que celui-ci avait cru s’abaisser en devenant le ministre d’un homme qu’il considérait comme un aventurier, et qu’il cherchait à reprendre son niveau par l’impertinence. Il le contrariait tous les jours sans nécessité, rejetant tous ses candidats, rudoyant ses amis, repoussant ses avis avec un dédain mal couvert ; aussi en était-il sincèrement exécré.

Celui des ministres qui avait le plus sa confiance était Falloux ; j’ai toujours cru que celui-ci l’avait gagné par quelque chose de plus substantiel que ce qu’aucun de nous ne pouvait ou ne voulait offrir.

Falloux, qui était légitimiste de naissance, d’éducation, de société et de goût, si l’on veut, n’appartenait, au fond, qu’à l’Église. Il ne croyait pas au triomphe