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» Voilà la véritable cause.

» Eh ! messieurs, s’il est juste d’avoir cette préoccupation patriotique dans tous les temps, à quel point n’est-il pas plus juste de l’avoir dans le nôtre ? Est-ce que vous ne ressentez pas, par une sorte d’intuition instinctive qui ne peut pas s’analyser, mais qui est certaine, que le sol tremble de nouveau en Europe ? Est-ce que vous ne sentez pas… que dirais-je ?… un vent de révolution qui est dans l’air ? Ce vent, on ne sait où il naît, d’où il vient, ni, croyez-le bien, qui il enlève : et c’est dans de pareils temps que vous restez calmes en présence de la dégradation des mœurs publiques, car le mot n’est pas trop fort.

» Je parle ici sans amertume, je vous parle, je crois, même sans esprit de parti ; j’attaque des hommes contre lesquels je n’ai pas de colère, mais enfin, je suis obligé de dire à mon pays ce qui est ma conviction profonde et arrêtée. Eh bien ! ma conviction profonde et arrêtée, c’est que les mœurs publiques se dégradent ; c’est que la dégradation des mœurs publiques vous amènera dans un temps court, prochain peut-être, à des révolutions nouvelles. Est-ce donc que la vie des rois tient à des fils plus fermes et plus difficiles à briser que celle des autres hommes ? Est-ce que vous avez, à l’heure où nous sommes, la certitude d’un lendemain ? Est-ce que vous savez ce qui peut arriver en France d’ici à un an,