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quatre ans, pût être replacé dans la vie privée, cela me paraissait très douteux ; qu’il consentît à y rentrer, fort chimérique ; qu’on parvînt même à l’empêcher, pendant la durée de son mandat, de se jeter dans quelque entreprise dangereuse, semblait bien difficile, à moins qu’on ne découvrît à son ambition un point de vue qui pût, sinon la charmer, du moins la contenir. C’est à quoi je m’appliquai, dès l’abord, pour ma part. — « Je ne vous servirai jamais, lui dis-je, à renverser la république ; mais je travaillerai volontiers à vous y assurer une grande place, et je crois que tous mes amis finiront par entrer dans le même dessein. La constitution peut être revisée ; l’article 45, qui prohibe la réélection, peut être changé. C’est là un but que nous vous aiderons volontiers à atteindre. » Et, comme les chances de la revision étaient douteuses, j’allais plus loin et je lui laissais entrevoir dans l’avenir que, s’il gouvernait la France tranquillement, sagement, modestement, bornant ses visées à n’être que le premier magistrat de la nation et non son suborneur ou son maître, il se pourrait qu’à la fin de son mandat, il fût réélu, malgré l’article 45, d’un consentement presque unanime, les partis monarchiques ne voyant pas, dans la prolongation limitée de son pouvoir, la ruine de leurs espérances, et le parti républicain lui-même, envisageant un gouverne-