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même, pour nous comme pour la république, le plus grand et le plus permanent péril.

J’en étais convaincu, et pourtant, quand je l’eus étudié fort attentivement, je ne désespérai pas de nous établir dans son esprit, pour un temps du moins, d’une manière assez solide. Je parvins bientôt, en effet, à découvrir que, tout en admettant sans cesse les chefs de la majorité près de lui, en recevant leurs avis, les suivant quelquefois et complotant au besoin avec eux, il supportait cependant très impatiemment leur joug ; qu’il était humilié de paraître subir leur tutelle et qu’il brûlait secrètement de s’y soustraire. Ceci nous donnait un point de contact avec lui et une prise sur son âme ; car nous étions nous-mêmes bien décidés à rester indépendants de ces grands meneurs et à maintenir le pouvoir exécutif hors de leur atteinte.

Il ne me paraissait pas, d’ailleurs, qu’il nous fût impossible d’entrer en partie dans le dessein de Louis Napoléon sans sortir du nôtre. Ce qui m’avait toujours frappé, lorsque je songeais à la situation de cet homme extraordinaire (non par son génie, mais par les circonstances qui avaient pu élever sa médiocrité si haut), ce qui m’avait frappé, dis-je, c’était la nécessité qu’il y avait de nourrir son esprit d’une espérance quelconque, si l’on voulait tenir celui-ci en repos. Qu’un tel homme, après avoir gouverné la France pendant