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pèce était de celles qu’on ne pouvait refuser à un collègue, à moins qu’on ne voulût rompre avec lui. Je passai ainsi un mois à m’entremettre tous les jours entre ces deux hommes, dépensant là plus d’efforts et de diplomatie que je n’en employai, pendant ce temps, à traiter les grandes affaires de d’Europe. Plusieurs fois, le cabinet fut sur le point de rompre sur ce misérable incident ; Dufaure céda enfin, mais de si mauvaise grâce qu’on ne pouvait lui en savoir gré ; de sorte qu’il livra son préfet sans gagner Falloux.

Mais la partie la plus difficile de notre rôle fut la conduite à tenir vis-à-vis des anciens conservateurs qui formaient le gros de la majorité, ainsi que je l’ai dit.

Ceux-là avaient tout à la fois des opinions générales à faire prévaloir et beaucoup de passions particulières à satisfaire. Ils voulaient qu’on rétablît l’ordre avec énergie ; sur ce point, nous étions leurs hommes ; nous le voulions comme eux et le faisions autant qu’ils pouvaient le désirer, et mieux qu’ils n’auraient pu le faire. Nous avions mis en état de siège Lyon et plusieurs départements, qui avoisinaient cette ville, suspendu, en vertu de l’état de siège, six journaux révolutionnaires de Paris, cassé les trois légions de la garde nationale parisienne qui avaient montré de l’indécision le 13 juin, arrêté sept représentants en flagrant délit et demandé la mise en accusation de trente autres. Des