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cère en ce sens qu’il ne considérait, comme il le disait, que sa cause et non son intérêt particulier, mais au demeurant très fourbe et d’une fourberie peu commune et très efficace, car il parvenait à mêler momentanément dans sa propre croyance le vrai et le faux avant de servir ce mélange à l’esprit des autres ; seul secret qui puisse donner les avantages de la sincérité dans le mensonge et permettre d’entraîner vers l’erreur qu’on juge bienfaisante ceux qu’on pratique ou qu’on dirige.

Quelque effort que je fisse, je ne pus jamais établir, je ne dirai pas de bons rapports, mais même des rapports convenables entre Falloux et Dufaure ; il est vrai que ces deux hommes avaient précisément les qualités et les défauts contraires. Dufaure, qui était resté au fond du cœur un vrai bourgeois de l’Ouest, ennemi des nobles et des prêtres, ne pouvait s’accommoder ni des principes ni même des belles manières raffinées de Falloux, quelque agréables qu’elles me parussent. Je parvins pourtant, à grands efforts, à lui faire comprendre qu’il fallait ne pas gêner celui-ci dans son département ; mais, quant à lui laisser exercer la moindre influence sur ce qui se passait au ministère de l’intérieur (dans les limites même où cela était permis et nécessaire), il ne voulut jamais en entendre parler. Falloux avait dans son Anjou un préfet dont il croyait avoir à se plaindre, il ne demandait pas qu’on