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bourgeois ; ou du moins l’usage ne leur en avait pas autant enseigné la douceur. Quoique plus irréconciliables que d’autres par leurs principes avec la république, ils s’accommodaient mieux que la plupart de la durée de celle-ci, car elle avait détruit leur destructeur et leur avait ouvert le pouvoir ; elle avait servi tout à la fois leur ambition et leur vengeance ; elle n’excitait contre elle que leur peur, qui était, à la vérité, fort grande. Les anciens conservateurs, qui formaient le gros de la majorité, étaient bien plus pressés de sortir de la république ; mais, comme la haine furieuse qu’ils portaient à celle-ci était fort tenue en bride par la crainte des hasards auxquels on s’exposerait en cherchant prématurément à l’abolir ; que, d’ailleurs, ils avaient la longue habitude de marcher derrière le pouvoir, il nous eût été facile de les conduire si nous avions pu obtenir l’appui ou seulement la neutralité de leurs chefs, dont les principaux étaient alors, comme on sait, M. Thiers et M. Molé.

Cette situation bien aperçue, je compris qu’il fallait subordonner tous les buts secondaires au principal, qui était d’empêcher le renversement de la république, et surtout de prévenir l’établissement de la monarchie bâtarde de Louis Napoléon ; c’était, pour lors, le péril prochain.

Je songeai d’abord à me garantir des fautes de nos