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s’y pressait les uns contre les autres, en dépit des haines qui éloignaient ; la gêne y augmentait la colère. C’était un duel dans un tonneau. Comment les Montagnards auraient-ils pu se contenir ? ils se voyaient assez nombreux pour se juger très forts dans la nation et dans l’armée. Ils demeuraient pourtant trop faibles dans le parlement pour pouvoir espérer y dominer ou même y compter. Une belle occasion de recourir à la force leur était offerte. Toute l’Europe, encore en branle, pouvait, par un grand coup frappé dans Paris, être de nouveau rejetée en révolution. C’était plus qu’il n’en fallait à des hommes d’un tempérament si sauvage.

On pouvait prévoir que le mouvement éclaterait au moment où on connaîtrait que l’ordre avait été donné d’attaquer Rome et que l’attaque avait eu lieu. Il en fut ainsi en effet.

L’ordre donné était resté secret. Mais, le 10 juin, la nouvelle du premier combat se répandit.

Dès le 11, la Montagne éclata en paroles furieuses. Ledru-Rollin fit, du haut de la tribune, un appel à la guerre civile, en disant que la constitution était violée et que ses amis et lui étaient prêts à la défendre par tous les moyens, même par les armes. La mise en accusation du président de la république et du précédent cabinet fut demandée.

Le 12, la commission de l’Assemblée, chargée d’exa-