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tretenu dans des espérances chimériques par la complaisance intéressée de ses agents. Je vis cette fois, et de bien plus près encore, comment ces mêmes agents peuvent travailler à accroître la terreur de ceux qui les emploient ; effets contraires produits par la même cause : chacun d’eux, jugeant que nous étions inquiets, voulait se signaler par la découverte de nouvelles trames, et nous fournir à son tour quelque indice nouveau de la conspiration qui nous menaçait. On nous parlait d’autant plus volontiers de nos périls, qu’on croyait plus à notre succès. Car c’est un des caractères et des dangers de ces sortes d’informations, qu’elles deviennent plus rares et moins explicites à mesure que le péril devenant plus grand, elles seraient plus nécessaires. Les agents, doutant alors de la durée du gouvernement qui les emploie et craignant déjà son successeur, ne parlent plus guère ou se taisent entièrement. Cette fois, ils faisaient grand bruit. À les entendre, il était impossible de ne pas croire que nous étions sur le penchant d’un abîme, et pourtant, je n’en croyais rien. J’étais très convaincu dès lors, comme je l’ai toujours été depuis, que les correspondances officielles et les rapports de la police, qui peuvent être bons à consulter quand il s’agit de découvrir un complot particulier, ne sont propres qu’à donner des notions exagérées et incomplètes, toujours fausses, quand on veut juger ou