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monarchie bâtarde, méprisée des classes éclairées, ennemie de la liberté et gouvernée par des intrigants, des aventuriers et des valets ?

La république était sans doute très difficile à maintenir, car ceux qui l’aimaient étaient, la plupart, incapables ou indignes de la diriger et ceux qui étaient en état de la conduire la détestaient. Mais elle était aussi assez difficile à abattre. La haine qu’on lui portait était une haine molle, comme toutes les passions que ressentait alors le pays. D’ailleurs, on réprouvait son gouvernement sans en aimer aucun autre. Trois partis, irréconciliables entre eux, plus ennemis les uns des autres qu’aucun d’eux ne l’était de la république, se disputaient l’avenir. De majorité, il n’y en avait pour rien.

Je pensais donc que le gouvernement de la république, ayant pour lui le fait et n’ayant jamais pour adversaires que des minorités difficiles à coaliser, pouvait se maintenir au milieu de l’inertie de la masse, s’il était conduit avec modération et avec sagesse. Aussi j’étais déterminé à ne point me prêter aux entreprises qu’on pourrait tenter contre lui, mais à le défendre. Presque tous les membres du Conseil avaient la même pensée. Dufaure croyait plus que moi à la bonté des institutions républicaines et à leur avenir. Barrot était moins enclin que moi à les faire respecter