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encore parce que leur insuffisance notoire tenait pour ainsi dire leur succession toujours ouverte et créait une sorte de crise ministérielle en permanence.

Quant à Barrot, il adhérait naturellement à nous par le fond de ses sentiments et de ses idées. Ses vieilles habitudes libérales, ses goûts républicains, ses souvenirs d’opposition nous l’attachaient. Autrement associé, il fût peut-être devenu, bien qu’à regret, notre adversaire ; mais, l’ayant une fois au milieu de nous, nous étions sûrs de lui.

De tout le ministère, il n’y avait donc que Falloux qui nous fût étranger par son point de départ, par ses engagements et par ses tendances ; seul, il représentait dans le Conseil les chefs de la majorité, ou plutôt, il semblait les y représenter, car, en réalité, ainsi que je le dirai plus loin, il ne représentait, là comme ailleurs, que l’Église. Cette situation isolée, autant que les visées secrètes de sa politique, le portaient à chercher son point d’appui hors de nous ; il s’efforçait de le placer dans l’Assemblée et chez le président, mais discrètement et habilement, comme il faisait toutes choses.

Ainsi constitué, le cabinet avait une grande faiblesse : il allait gouverner avec le concours d’une majorité coalisée, sans être lui-même un ministère de coalition.